Le large public qui s’est déplacé, jeudi à Carthage, a passé une soirée mémorable avec Djamel Debbouze qui l’a tenu en haleine par sa prestation et son exceptionnelle présence scénique.

Par Monia Kallel*


Face à des spectateurs serrés au coude-à-coude, survoltés et libérés, l’humoriste a su adapter son programme à la circonstance transformant la scène de Carthage en un immense exutoire-défouloir. Pendant près de 2h 30 minutes, l’illustre théâtre romain a retrouvé son ambiance et sa fonction cathartique premières.

L’entrée fracassante (et bien escortée) de Samir Dilou

L’étincelle est déclenchée par l’entrée fracassante (et bien escortée) de Samir Dilou, ministre des Droits de l’homme et de la Justice transitionnelle, et porte-parole du gouvernement, suivie de l’arrivée plus discrète de Maherzia Labidi, vice-présidente de l’Assemblée nationale constituante (Anc), tous deux du parti islamiste Ennahdha au pouvoir. Alerté par les hués, et les sifflements, accompagnés du fameux «dégage!», l’artiste en a vite saisi le sens et a orienté son texte vers le public dont il s’est fait le complice et le porte-voix. «Je défendrai chacun de mes spectateurs», dit-il.

Par petites touches, avec une gestuelle et une mimique parfaitement maîtrisés, il aborde les questions brûlantes et instille des formules crues et cruelles dans l’hilarité générale. Au porte-parole du gouvernement, il lance la flèche «Dans sa tête, il se croit encore sous Ben Ali», puis sur un ton faussement naïf : «La religion prend beaucoup de place lorsque les politiques ne font pas bien leur travail et laissent le peuple sans travail».

«J’espère, j’espère qu’ils ne gagnent pas»

Mais les gradins se sont enflammés et les échanges ont retenti d’un bout à l’autre du théâtre lorsque l’artiste est entré en interaction direct avec son public, lui recommandant de «ne pas changer», de défendre «[sa] Tunisie» et d’«aller voter». «J’espère, j’espère qu’ils ne gagnent pas», ce souhait à peine voilé, Jamel Debbouze l’énonce avec une espièglerie et une fraîcheur juvénile qui ont littéralement conquis et uni le public transformé en un corps vibrant et chantant.

Dans ces moments de fusion, le plaisir est partagé. L’acteur-enchanteur devient, à son tour, spectateur enchanté: «Allumez, dit-il, mettez plus de lumière  pour que je vous voie et je me remplisse plein les yeux de cette soirée historique, cette soirée pas comme les autres, et qui ne produit de cette manière nulle part au monde!!!».

Jamel Debbouze.

La colère des spectateurs contre Samir Dilou

Sacré Djamel Debbouze qui a joint l’utile à l’agréable. Il a su offrir à son public ce qu’il est venu chercher: la détente, le défoulement, l’oubli d’un vécu amer. Il nous a également montré l’écart entre les légères pirouettes (verbales et physiques) de l’artiste et la langue de bois de l’homme politique. La prestation et la sincérité de l’auteur de ‘‘Tout sur Djamel’’ (titre du spectacle) ont, comme par ricochet, augmenté la colère des spectateurs de Carthage contre Samir Dilou et ses laborieuses démonstrations où ils ne reconnaissent plus.

Les Tunisiens ont besoin de s’exprimer et de se retrouver, c’est cette vérité psychosociologique qui explique leur ruée vers les théâtres mythiques (El Djem, Carthage), leur ferveur excessive, et le succès phénoménal de Djamel Debbouze et d’autres. Les représentants du pouvoir en place ne peuvent que subir…

Articles de la même auteure dans Kapitalis:

Tunisie. Mustapha Ben Jaâfar du compromis à la compromission

Tunisie. L’art et les artistes dans l’œil du cyclone salafiste

Tunisie. La Zitouna et a-t-elle été réellement fermée par Bourguiba?

Tunisie. Comment Ennahdha veut tuer démocratiquement la presse

Tunisie. Ennahdha de la force de la légitimité à la légitimité de la force

Tunisie. Lettre ouverte au ministre de l’enseignement supérieur

La visite de Tariq Ramadan en Tunisie: une mission inaccomplie!

Habib Kazdaghli et les maux de l’université tunisienne

Tunisie. Journalistes et politiques: la mésentente cordiale

Révolution tunisienne: un anniversaire en demi-teinte