Trois films arabes pour dire que la «question» de la femme n’est pas seulement une affaire de «genre» ou de «discrimination positive» mais une affaire de culture et de développement, dans tous ses aspects.
Par Samantha Ben-Rehouma
‘‘Femmes du Caire’’, ‘‘Dunia’’ et ‘‘Amerikka’’… Trois grands films à succès ayant participé à des festivals prestigieux (Cannes, Friburg, Venise, Toronto, etc.) ont été projeté du 10 au 12 août, au CinéMadArt, à Carthage, et ce, afin que le public tunisien en profite… Oui mais, force est de constater que ce dernier préfère se faire des films en inhalant la fumée du narguilé dans les cafés (Bondin de chez bondés) plutôt que dans les salles obscures!! Ne réveillez pas un Maktoubphile qui dort…
‘‘Femmes du Caire’’ (Ehky ya Schahrazad)
Le titre original décrit mieux comment, en quelques siècles dans le monde arabe, Schéhérazade s’est modernisée: son audace, son imagination et sa féminité assumée feraient aujourd’hui d’elle... une journaliste: Heba (Mona Zeki), à la tête d’une émission de télé où «tout est politique». Au grand dam de son mari ! Ce dernier – qui subit un chantage des hautes sphères du pouvoir moyennant un poste de rédacteur en chef dans le journal où il écrit – demande à sa femme de cesser de politiser son émission. Heba – confrontée au choix cornélien ô combien classique : vie professionnelle ou vie personnelle – opte alors pour le talk-show qui touche aux femmes, à leur quotidien, aux rapports avec les hommes… Bref, tout ce qui, sous le poids des traditions sociales, n’a qu’un droit de cité bien faible.
Femmes du Caire
S’en vint alors une galerie de portraits poignants dont le récit va toucher et réveiller la conscience de Heba (au même titre que celui du spectateur!) qui réalise que toutes les femmes ne sont pas égales devant les dangers et les menaces d’oppression du quotidien. Chacune va résister par des subterfuges divers, qui les font redoubler d’inventivité ou de courage, au même titre que les hérauts de la liberté d’expression.
La réussite de ce film tient surtout à la solidité du scénario (Waheed Hamed déjà connu pour ‘‘L’immeuble Yacoubian’’, d’après le roman d’Alaa al-Aswani) construit comme une structure en poupées russes – on franchit le cap des tabous dans un rythme qui va crescendo: de la virginité à la polygamie, de la sexualité avant le mariage aux questions d’honneur… ‘‘Femmes du Caire’’ est un vent d’air frais venant balayer des décennies de poussière égyptienne et de silence sur la condition des femmes en laissant la place à une parole féminine libératrice.
‘‘Dunia’’ ou l’excision mentale
Dunia
Au Caire, ‘‘Dunia’’ veut devenir danseuse comme sa mère disparue. Parallèlement à ses cours de danse orientale, elle étudie la poésie soufie en vue d’une thèse sur l’amour dans la poésie arabe. Un film sur la recherche de soi et le droit à une jeune fille, dans une société arabe, de se réaliser. La réalisatrice libanaise Jocelyne Saab avec tous ces thèmes (la danse et la poésie soufie souvent traitées de «pornographiques» dans la société égyptienne) pousse le bouchon encore plus loin avec le thème de l’excision. Dunia est excisée et son mari, Mamdouh, lui reproche sa «froideur». «J’ai envie mais mon corps dit non», confie-t-elle à son amie Inayate, cette dernière refuse de faire exciser sa fille de 7 ans, Yasmine. Mais c’est sans compter sur la sournoiserie de sa belle-mère qui tente de convaincre la fillette: «Ce n’est rien, juste une petite coupure, après ça tu seras une femme respectable». La scène où, en cachette, elle fait venir une «daya» (sage-femme traditionnelle et exciseuse) pour exciser Yasmine est on ne peut plus dégoûtante! Enfin, terminer le film sur cette phrase (un chiffre, peu connu): «Selon Amnesty International et le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), 97% des Egyptiennes sont excisées» est un choix délibéré de la réalisatrice… Une phrase qu’elle a toutefois été obligée d’enlever pour sortir son film en Egypte!
‘‘Amerikka’’ ou le Vas Vis et Deviens à la sauce Homos
Amerikka
Sous des airs de comédie dramatique, le film relate le vécu de Mouna et de son fils, Fadi, dans le quotidien d’une lutte sans fin, celle du peuple palestinien. Et puis un jour, quitter cette vie et aller travailler aux Etats-Unis devient possible: étrangère en son pays, Mouna peut bien l’être ailleurs. Elle part alors avec Fadi rejoindre sa sœur installée depuis 15 ans au fin fond de l’Illinois.
Cette chronique d’un exil annoncé va très vite tourner au fiasco. Mouna a perdu l’argent patiemment économisé pour s’installer (la scène de l’arrivée à l’aéroport où tout leur est confisqué vaut le détour!), Fadi peine à se faire accepter et surtout les Etats-Unis ne sont pas la patrie que tous avaient rêvée.
En effet, bien vite le racisme ordinaire et l’ignorance désolante de l’Américain moyen confinent leur présence à celle d’intrus. Les Etats-Unis, partis en guerre contre le «diable» Saddam, n’aide alors en rien l’intégration de Mouna et son fils dans cet American way of dislike!! Mais il en faudra plus pour freiner Mouna (Nisreen Faour étonnante! c’est elle qui porte le film) dans sa quête d'une vie meilleure...
‘‘Amerikka’’ opte pour un ton et une approche plus subtils (être accessible et populaire avec un tel degré de sensibilité n’est pas chose aisée) que nombre de films plus emblématiquement politiques…
Résultat: un film drôle et émouvant où la comédie nourrit le propos, sans jamais l’appuyer et pourtant, on en ressort tout autant marqué que si l’abord avait été documentaire. Prix de la Critique de la Quinzaine des Réalisateurs 2009 à Cannes ‘‘Amerikka’’ dénonce de manière frontale et sans fioritures le racisme que subissent les immigrés quotidiennement, et de manière exacerbée depuis les attentats du 11 septembre 2011.
La femme a-t-elle encore un avenir dans les sociétés arabes?
Ce qui ressort de ces films c’est que ce sont souvent les éducations rigoureuses, humainement insupportables, qui ont été à l’origine des scandales qui ont défrayé les chroniques sociales et donné lieu aux monstruosités les plus incroyables.
Des textes comme le statut de la femme, s’ils subissent l’ablution de la «barbanomenklatura», inhiberont considérablement nos filles et nos femmes et priveront ainsi le pays d’un potentiel formidable. La «question» de la femme n’est donc pas seulement une affaire de «genre» ou de «discrimination positive» mais une affaire de culture et de développement, dans tous ses aspects.
«Eduquez bien vos filles et laissez-les faire», dit un vieil adage car aucune laisse, aucune ceinture de chasteté et aucun corset ne peuvent empêcher une femme de faire ce qu’elle a envie de faire, quand le diable habite son esprit ou son corps…