Quelle belle réponse aux auteurs du film ‘‘L’Innocence des Musulmans’’ et à tous les islamosphobes, qui sèment la haine entre les religions, que ce texte de l’écrivain français, écrit en 1854, en hommage au prophète Muhammed!
Par Alphonse de Lamartine
Jamais homme ne se proposa volontairement ou involontairement un but plus sublime, puisque ce but surhumain : saper les superstitions entre la créature et le créateur, rendre dieu à l’homme et l’homme à dieu, restaurer l’idée rationnelle et sainte de la Divinité dans ce chaos de dieux matériels et défigurés de l’idolâtrie.»
Jamais homme n’entreprit, avec de si faibles moyens, une œuvre si démesurée aux forces humaines puisqu’il n’a eu, dans la conception et dans l’exécution d’un si grand dessein, d’autre instrument que lui-même et d’autres auxiliaires qu’une poignée de barbares dans un coin de désert.
Enfin, jamais homme n’accomplit en moins de temps une si immense et si durable révolution dans le monde puisque, moins de deux siècles après sa prédication, l’islamisme, prêché et armé, régnait sur les trois Arabies, conquit la Perse, le Khorasan, la Transoxiane, l’Inde occidentale, la Syrie, l’Ethiopie, tout le continent connu de l’Afrique septentrionale, plusieurs des îles de la méditerranée, l’Espagne et une partie de la Gaule.
Si la grandeur du dessein, la petitesse des moyens, l’immensité du résultat sont les trois mesures du génie de l’homme, qui osera comparer humainement un grand homme de l’histoire moderne à Mohammed? Les plus fameux n’ont remué que des armes, des lois, des empires; ils n’ont fondé (quand ils ont fondé quelque chose) que des puissances matérielles écroulées souvent avant eux.
Celui-là a remué des armées, des législations, des empires, des peuples, des dynasties, des millions d’hommes sur le tiers du globe habité : mais il a remué, de plus des autels, des dieux, des religions, des idées, des croyances, des âmes; il a fondé, sur un livre dont chaque lettre est devenue loi, une nationalité spirituelle qui englobe des peuples de toute race, et il a imprimé, pour caractère indélébile de cette nationalité musulmane, la haine des idoles et la passion du dieu unique. Ce patriotisme, vengeur des profanations du ciel, fut la vertu des enfants de Mohammed. L’idée de l’unité de Dieu, proclamée dans la lassitude des théogonies fabuleuses, avait elle-même une telle vertu, qu’en faisant explosion sur ses lèvres, elle incendia tous les vieux temples des idoles et alluma de ses lueurs un tiers du monde.
Cet homme était-il un imposteur? Nous ne le pensons pas, après avoir étudié son histoire. L’imposture est l’hypocrisie de la conviction. L’hypocrisie n’a pas la puissance de la conviction, comme le mensonge n’a jamais la puissance de la vérité.
Si la force de la projection est, en mécanique, la mesure exacte de la force d’impulsion, l’action est de même, en histoire, la mesure de la force d’inspiration. Une pensée qui porte si haut, si loin et si longtemps est une pensée forte ; pour être forte, il faut qu’elle ait été bien sincère et bien convaincue…
Mais sa vie, son recueillement, ses blasphèmes héroïques contre les superstitions de son pays, son audace à affronter les fureurs des idolâtres, sa constance à les supporter quinze ans à la Mecque, son acceptation de scandale public et presque de victime parmi ses compatriotes, sa fuite enfin, sa prédication incessante, ses guerres inégales, sa confiance dans les succès, sa sécurité surhumaine dans les revers, sa longanimité dans la victoire, son ambition toute d’idée, nullement d’empire, sa prière sans fin, sa conversation mystique avec dieu, sa mort et son triomphe après le tombeau: plus qu’une imposture, une conviction. Ce fut cette conviction qui lui donna la puissance de restaurer un dogme. Ce dogme était double, l’unité de dieu et l’immatérialité de Dieu, l’un disant ce que dieu est, l’autre disant ce qu’il n’est pas ; l’un renversant avec le sabre des dieux mensonges, l’autre inaugurant avec la parole une idée!
Philosophe, orateur, apôtre, législateur, guerrier, conquérant d’idées, restaurateur de dogmes, fondateur de vingt empires terrestres et d’un empire spirituel, voilà Mohammed.
A toute les échelles où l’on mesure la grandeur humaine, quel homme fut plus grand?»
*Le titre est de la rédaction.