Tunisie. A El Téatro, des noir(e)s, des vert(e)s et des pas mûr(e)s

L’espace El Téatro fait sa 26e rentrée et entame la saison avec une rencontre artistique, du 5 au 20 octobre. Thème: «Etre noir-e dans la verte» (théâtre, cinéma, conférences, débats, ateliers, arts plastiques.

Par Zohra Abid

Avant la présentation du programme de l’année, les invités d’El Téatro ont eu droit vendredi à un avant-goût de sa nouvelle création : ‘‘Cherche Saâdia désespérément’’, sur une mise en scène de Naoufel Azara.

Dans la boîte de la mémoire, je djinn de la transe

Dans la boîte de la mémoire, le djinn de la transe.

Aux racines de la culture des Noirs de Tunisie

La pièce repose sur la liberté, l’abolition de l’esclavage, la persistance d’un racisme ordinaire, le droit à la dignité…, le tout raconté par des jeunes talents, puisant dans l’histoire et le folklore tunisien, notamment dans le rite de Bousaâdia qui puise ses racines dans la culture des Noirs de Tunisie «la Verte». Une histoire faite certes avec des bribes d’histoire, des vécus amers, des petits récits de vie des minorités en Tunisie, mais aussi avec des danses, des rythmes, des couleurs, le tout porté par une grande émotion.

Le premier cycle de représentations, inauguré mardi, se poursuivra jusqu’au 20 octobre. A ne pas manquer!

Le public déguste ce corps à corps avec les jeunes comédiens

Le public déguste ce corps à corps avec les jeunes comédiens.

Dans la peau d’un noir-e

A l’invitation des locataires des lieux, les amis de Taoufik Jebali et de son épouse Zeineb Farhat, ainsi que les mordus des planches sont venus nombreux, pour fêter l’anniversaire d’El Téatro «espace inauguré le 5 octobre 1987 avec la pièce ‘‘Mémoire d’un Dinosaure’’, conçue par Taoufik jebali et feu Rached Manaï, d’après les ‘‘Dialogues d’exilés’’ de Brecht. La pièce a été revue et corrigée plusieurs fois après, et les jeunes mordus de théâtre ont eu, comme leurs parents, l’occasion de la voir, la revoir et l’apprécier», a lancé Zeineb Farhat non sans fierté.

La gérante de l’espace, qui a donné un aperçu sur le programme de l’année, est revenue sur les temps forts de la rentrée d’El Téatro qui se veut un vivier d’art et de culture, une pépinière pour les artistes et ouvert surtout sur la jeunesse. «Ça fait déjà 25 ans, un quart de siècle (déjà !). L’ouverture de notre espace a été marquée par ‘‘Mémoires d’un Dinosaure’’, c’était comme hier», se souvient la maitresse de la maison en égrenant quelques moments forts d’un espace qui a marqué la mémoire culturelle de Tunis et dont le rayonnement a dépassé les frontières nationales.

Un avant-goût de la pièce Cherche Saâdia désespérément

Un avant-goût de la pièce Cherche "Saâdia désespérément".

«A l’époque, j’avais un gros ventre. J’attendais la naissance de ma fille», a-t-elle ajouté avec son petit sourire habituel. Et d’enchaîner : «Dix ans après l’ouverture, mon mari et moi avons voulu nous rassurer en faisant un bilan de l’espace. Lors d’une rencontre avec nos amis qui nous ont toujours soutenus, Ridha Kefi nous a suggéré de nous ouvrir davantage et de miser sur la jeunesse. Il est vrai que l’on s’enfermait un peu pour éviter de nous dissoudre dans la médiocrité ambiante. Mais on a suivi son conseil», a enchéri la gérante d’El Teatro, devenu, depuis quelques années, un espace dédié aux jeunes créateurs sous la houlette de Taoufik Jebali, qui loue (et le mot est inapproprié) encore une fois ses planches aux talents pour mettre leur petit grain de sel dans ‘‘Etre noir-e dans la Tunisie verte’’. Mais aussi d’autres pièces et aventures artistiques, qui seront annoncés le moment venu.

La révolution de la dignité: tout un programme!

Zeineb Farhat

Zeineb Farhat.

Pour cette année, Mme Farhat, qui aime mettre toujours son empreinte dans la programmation, a souvent pioché dans les dossiers piquants envoyés à l’Association tunisienne des femmes démocrates (Atfd), dont elle est membre. «Nous avons travaillé sur des sujets comme la femme dans la guerre, la guerre et la création, littéraire et autres. Je me suis en fait inspirée du travail social, politique et même économique de l’Atfd. Aujourd’hui, notre révolution repose sur la dignité, la liberté. Le sujet des minorités et des noirs me semble d’actualité», a précisé Zeineb Farhat. Pour elle, il n’y a pas de sujet tabou. Il faut «parler de tout et dire même les mots qui fâchent», même à propos du racisme latent des Tunisiens et du traitement que certains d’entre eux réservent souvent aux noirs et aux minorités.

Cette année, El Téatro a collaboré avec de nouvelles associations et des groupes informels qui militent pour la dignité des citoyens et qui font du bon travail sur le terrain. «Nous remercions l’association Adam, Atsm, Ltdh, Femdh, Mnamti (toutes de Tunisie), mais aussi Biram Ould Dah ould Abeid, président de l’Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste mauritanien et chargé de mission auprès de SOS-Esclaves, ainsi que la Marocaine Sana El Ajj, journaliste et militante des droit humains".

Hatem Belhaj et Raouf Ben Amor, deux générations de collaborateurs avec El Téatro

Hatem Belhaj et Raouf Ben Amor, deux générations de collaborateurs avec El Téatro

«A tout ce beau monde, je dis merci pour le combat au quotidien pour la dignité. Je remercie aussi Mahmoud Chelbi qui continue à animer les expositions d’arts plastiques», dit Mme Farhat. Et d’ajouter qu’El Téatro fera aussi son cinéma lors de la rencontre inaugurale de l’année : «A part les conférences, l’exposition et les ateliers, il y aura des projections de cinéma suivis de débats et qui seront animés notamment par le cinéaste Hichem Ben Ammar», précise encore Mme Farhat.
Les journées «Etre noir-e dans la verte» seront clôturées dans la joie, promet Mme Farhat, le 20 octobre à partir de 22 heures. En attendant la reprise du programme habituel de l’espace qui promet une panoplie de créations de tout genre. Ne surtout pas s’abstenir.