Recherche Saadia désespérément

Le cent soixante-septième anniversaire de l'abolition de l'esclavage par Ahmed 1er Bey a été l'occasion de rendre hommage à la Tunisie: premier pays du monde arabe et musulman à abolir l'esclavage, le 23 janvier 1846... Let's go back to our roots !

Par Samantha Ben-Rehouma

Le débat a eu lieu à l'espace El Téatro, avec la participation de Saâdia Mosbah, présidente de l'association M'Nemty (Mon rêve), Jamel Cherif, membre de l'association, et Mounira Chapoutot-Remadi, professeur d'histoire du moyen-âge du monde arabe et musulman.

«Tous les enfants d'un même arbre»

La devise de l'association M'Nemty résume très bien que la Tunisie – dont les périodes d'esclavage issues du commerce et de la piraterie sur les marchés de la Méditerranée et de l'Asie – est un pays à l'histoire multimillénaire même si certains veulent à tout prix réduire en cendres sa mémoire!

Saada Mosbah, Mounira Chapoutot-Remadi.

Saada Mosbah, Mounira Chapoutot-Remadi.

Personne en Tunisie ne peut infirmer d'avoir un ascendant esclave. C'est pourquoi, le 23 janvier doit faire date et devenir férié pour «dire NON au déni et NON à l'oubli. Seul un geste de reconnaissance pourra aider à panser tant de blessures causées par des préjugés, le racisme et la discrimination», a expliqué Saâdia Mosbah.

«Un travail de fond doit se faire en aval. L'éducation: du jardin d'enfants à l'université se doit de faire un devoir de mémoire», a ajouté Jemal Chérif. Beaucoup de jeunes dans la salle ont aussi pris part au débat en témoignant du racisme toujours existant en Tunisie où les mentalités et les idées reçues sur la peau foncée ou noire persistent. L'exemple le plus flagrant: la télévision où aucune personne de couleur n'occupe le poste de présentateur (journal, sportif, météo)!

Devine qui vient dîner

Après l'effort le réconfort : le débat, très intense dans ses témoignages (très beau speech de Zeineb Farhat dont l'optimisme a mis du baume dans nos cœurs incendiés) et très instructif grâce au récit fait par Mounira Chapoutot-Remadi – que l'on pourrait écouter des heures durant et dont le but aujourd'hui est de rappeler à tous combien il est important d'inscrire cette date dans notre calendrier mémoriel national – fut suivi de deux représentations.

Recherche Saâda désespérément

"Recherche Saâda désespérément".

La première ''Kif Kif'' où Hatem Karoui «slame» sur des textes truffés de jeux de mots et de référence mélangeant ainsi les styles et les langues (arabe et français).

La seconde, ''Recherche Saâdia désespérément'' de Naoufel Azara. Cette pièce de théâtre (sur-titrée) se passe à bord d'un navire accosté au port et dont le capitaine boiteux met sous sa botte tout le monde à bord en usant de son grade. Faisant commerce avec des femmes et des enfants capturés, il joue au chef méprisant ainsi cette «marchandise»! Entretemps, Saâdia, à la recherche de son père, se lie d'amitié avec les autres femmes esclaves sur le bateau, une blanche dont la beauté a rendu fou le Bey et une noire qu'on a enchainée et qui est sur le point d'accoucher... La pièce a été jouée suite à El Téatro jusqu'au 26 janvier.

«I have a dream»

Hatem Karoui dans son show

Hatem Karoui dans son show

La question de l'esclavage a toujours été traitée mais (comme pour tout) c'est au cinéma qu'elle prend toute son ampleur: ''Mississipi Burning'', ''Glory'', ''La Couleur Pourpre'', ''La Main droite du Diable'', ''Amistad'', ''Sucre Amer'', etc, le dernier Tarantino ''Django Unchained'', jugé par Spike Lee trop «irrespectueux» envers les descendants de Kunta Kinte, tout comme ''Mandigo'' – dont le roman de Kyle Onstott (livre hallucinant où aucune trace de rébellion n'apparait, ce qui n'empêche pas le lecteur d'être révolté à chaque page !) a contrario du film insiste plus longuement sur les aspects économiques de l'esclavage et sur les mœurs – classé 2e parmi les films les plus racistes après ''The Birth of a Nation'', film muet qui fait l'apologie du Ku Klux Klan. Il faudra attendre 1974 et ''Blazing Saddles'' de Mel Brooks où ce dernier brosse satiriquement le portrait d'une Amérique raciste et ridiculise le KKK dans une scène culte !

Une lettre envoyée à l'ANC a été lue pour faire du 23 janvier une date clé.

Une lettre envoyée à l'ANC a été lue pour faire du 23 janvier une date clé.

Alors à quand un film ou une série télévisée sur l'esclavage en Tunisie? Cela suffirait à justifier l'intérêt porté au problème, non? Comme pour la question du statut des femmes, le cheminement tortueux de la question servile trahit toute la difficulté de la conquête des libertés. Il faudrait donc faire preuve de mauvaise foi pour ne pas reconnaître l'importance historique de l'abolition. Cette question appartient à l'histoire de la Tunisie. C'est aussi un des grands thèmes de l'histoire mondiale des Droits de l'Homme car, si l'esclavage est aujourd'hui officiellement aboli, il ne faudrait pas pour cela le ranger au rayon des livres d'histoire. Il subsiste en effet dans certains pays (Inde, Pakistan, Népal) mais il se conjugue aussi sous des formes parfois nouvelles. La servitude pour dettes étant la plus répandue aujourd'hui, travail forcé, traite des femmes, asservissement par la prostitution, trafic d'enfants ou de travailleurs immigrés sont, désormais, les formes modernes de l'esclavage.

Il est donc important d'enseigner dès le plus jeune âge la notion d'égalité et de fraternité. «Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots» : ces mots de Martin Luther King n'ont jamais eu autant de sens qu'aujourd'hui!