Cet article est le compte rendu d’une rencontre consacrée à la littérature tunisienne contemporaine organisée dans le cadre de la Foire du livre de Francfort 2010. En vedette, le romancier Habib Selmi… Par Estelle Jobson


 

Comment un écrivain originaire de la Tunisie, même célébrée dans son pays, fait-il parvenir son écriture dans les autres pays arabes, en Afrique et, au-delà, au reste du monde? Combien sont les écrivains tunisiens actuels encore marqués par l’effervescence créative des premières années de l’indépendance du pays, jadis occupé par France? Et si un écrivain tunisien voulait être lu à l’étranger où devrait-il publier ses livres, chez un éditeur local ou international?

L’édition tunisienne entre deux ères
Ces questions importantes ont été discutées au cours d’un débat organisé, le 10 octobre dernier, à la Foire du livre de Francfort, dans l’enceinte du Weltempfang, le Centre d’études politiques, littéraires et de la traduction.
Nouri Abid, le président de l’Association des éditeurs tunisiens (Aet) a évoqué certaines questions historiques: «Avant l’indépendance, c’est-à-dire en 1956, la plupart des écrits en arabe étaient l’œuvre d’auteurs fortement influencés par les littératures anglaise et française. Les Tunisiens ont cependant payé un prix fort pour avoir choisi l’écriture en arabe, pas en français, tout en résidant dans le Maghreb. Après l’indépendance, la plupart des maisons d’édition appartenant à l’État avaient une ligne éditoriale largement déterminée par les programmes scolaires. Puis, à partir des années 1980, la situation a commencé à s’équilibrer avec la montée de l’édition indépendante. Maintenant, de nombreux écrivains font de l’autoédition, créant ainsi une troisième voie pour l’édition.»

L’Aet cherche aujourd’hui à promouvoir le professionnalisme et le contrôle qualité au sein de l’industrie du livre et à rétablir les ponts rompus entre le Maghreb et le Machreq.


Habib Selmi (cheveux blancs) en photo souvenir avec ses éditeurs présents à la Foire du Livre de Frankfort.

Le ministère de la Culture et de la Sauvegarde du patrimoine a créé un Centre national de la traduction (Cnt) pour aider à la traduction de 60 titres tunisiens en langues étrangères, mais la répartition de ces traductions semble décevante jusqu’à présent.
Les deux principaux rendez-vous de l’édition commerciale en Tunisie sont la Foire international du Livre de Tunis et le Salon du livre pour enfants de Sfax.

Selmi et la voie vers le public international
Habib Selmi, l’un des écrivains tunisiens contemporains les plus connus en Tunisie et à l’étranger, était aussi présent à la rencontre. Cet enseignant de littérature arabe à Paris a publié deux recueils de nouvelles et huit romans. Il a publié ses premiers livres à Beyrouth, au Liban, aux côtés d’écrivains de renommée de Syrie et d’Egypte. «À l’époque, il était impossible de publier chez des éditeurs publics en Tunisie», explique-t-il. Il ajoute: «Je suis allé à Beyrouth qui a été, et est encore, le centre de l’édition en arabe. J’encourage les écrivains tunisiens à faire de même, de publier hors de la Tunisie, afin d’atteindre un plus grand lectorat.»
Les romans de Selmi ont en effet atteint un lectorat international, puisqu’ils ont été traduits en français, anglais, italien et allemand, pas en Allemagne mais en Suisse, par l’éditeur Lenos Verlag. Son plus récent roman, ‘‘Le Parfum de Marie-Claire’’ a été nominé pour le Prix international du roman arabe et il vient d’être publié en anglais par Arabia Books. Sa couverture, délicieusement érotique, représente la nuque d’une femme.
Bien qu’il vive en France depuis les années 1980 et parle couramment le français, Selmi a choisi d’écrire en arabe et que ses œuvres soient traduites. «Même si je suis un francophile, j’ai un penchant particulier pour l’écriture en arabe. Écrire dans votre langue maternelle rend l’écriture beaucoup plus authentique», explique-t-il.

Selmi lecteur de Breytenbach et Coetzee
Vous vous demandez si Selmi n’a pas quelques ressemblances avec l’écrivain sud-africain vivant à Paris, Breyten Breytenbach, qui a préféré lui aussi écrire dans sa langue maternelle. J’ai interrogé Selmi sur sa connaissance de la littérature d’Afrique australe. Son visage s’illumina. Il m’a dit qu’il a lu deux fois ‘‘Disgrace’’ ainsi que ‘‘Waiting for the Barbarians’’. «Ah, oui. Sans parler de ‘‘Tsotsi’’», a-t-il poursuivi, en français. «Je n’oublierai jamais ce film. Et Coetzee ...» Il s’est arrêté. «Wow. Génial, génial! Quand j’ai lu ‘‘Disgrace’’, j’ai eu peur. Même quand il n’y a pas d’acte violent, vous pouvez sentir la violence dans l’air. Et j’aime la façon dont il écrit sur les chiens. Pour nous, un chien est habituellement un animal domestique, tout simplement un animal de compagnie. Mais dans l’écriture de Coetzee, le chien évoque une peur terrible. Son écriture sur la terre est aussi très brillante. C’est comme si la terre est trop violente, alors qu’en principe, elle ne devrait pas l’être. C’est comme s’il n’y avait pas d’arbres. Il crée une atmosphère irrésistible. L’écriture de Coetzee m’a beaucoup touché. Est-ce que son écriture en anglais est aussi étonnamment croustillante qu’elle l’est dans la traduction française?»
Ai-je lu Coetzee en français? «Eh bien, je ne peux pas dire que je l’ai fait», avouai-je. «Il est peut-être temps de lire quelque chose de lui en traduction». Cela dit, puisque je n’ai pas déjà lu une bonne quantité d’écrivains sud-africains dans leur langue préférée, je pense qu’il est temps que je regarde un peu vers le nord (ou vers le sud, selon le point de départ). Je vais lire la littérature tunisienne moderne….

Source: ‘‘Book Of Southern Africa. The Internet Newspaper for SA Books’’