Après l'affaire Weld El 15, Ghazi Jabeur, Zied El Feni, voici venu le temps de se faire un film. Un film d'horreur où de jeunes cinéastes sont arrêtés et incarcérés dans des conditions mystérieuses et troubles.
Par Samantha Ben-Rehouma
Le synopsis? Un remake, of course! Du déjà-vu, du rabâché, du re-pressé, du rebattu. Pourtant la culture n'a jamais été aussi créative, me direz-vous, aussi florissante... Oui mais... Quoi? Un pot-aux-roses tout ça? Non juste l'arbre qui cache la forêt ou plutôt la jungle puisqu'il est question de la loi du plus fort ou comment un cinéaste et son équipe se retrouvent en prison manu-militari pour avoir tourné un film sur la jeunesse tunisienne...
Wanted
Dans la nuit du vendredi 20 au samedi 21 septembre 2013, vers 4 heures du matin, Nejib Abidi, Yahya Dridi, Abdallah Yahya, Slim Abida, Mahmoud Ayed, Skander Ben Abid ainsi que deux artistes – étudiantes engagées et activistes – font l'objet d'une descente de police pour détention de stupéfiants (un joint) au domicile de Nejib Abidi situé dans le quartier Lafayette à Tunis. Et c'est manu-militari que tout ce beau monde est d'abord conduit au commissariat de Bab Bhar à Tunis. Douze heures plus tard, plus aucune information ne sort. Et à l'heure actuelle, les familles des «détenus» ne savent pas où ils se trouvent. Ont-ils été transférés au centre de détention de Bouchoucha? Mystère.
Aucune raison officielle justifiant leur arrestation et leur détention n'a été communiquée.
Un comité de défense des jeunes cinéastes s'est constitué, qui commence à lancer des campagnes publiques d'information.
Casting
Nejib Abidi, 29 ans, cinéaste et président d'Asso Chaabi, ancien syndicaliste à l'Uget est connu pour ses positions opposantes radicales au gouvernement de Ben Ali et à ceux qui lui ont succédé. La veille de son arrestation, un des deux disques durs, contenant les rushs de son documentaire en préparation, a été volé à son domicile, les données d'un autre disque dur ont été effacées définitivement après formatage.
Nejib est apparu publiquement pour la dernière fois lors des rassemblements de soutien au blogueur Jabeur Mejri et au cinéaste Nasredine Shili, tous deux en prison. Ce dernier est le producteur de son film... De quoi se poser des questions sur le motif exact de cette arrestation !
Yahya Dridi, 26 ans, ingénieur du son et secrétaire général d'Asso Chaabi, travaille depuis longtemps avec Nejib. Cette équipe a mené, depuis le début, des investigations afin d'alimenter le documentaire et pour le tournage ils se sont rendus en Italie. Attentif aux questions de justice sociale et militant aussi de la première heure, Yahya s'investit essentiellement sur des films engagés. Il réside entre la Tunisie et la France où il mène ses activités artistiques.
Abdallah Yahya, 34 ans, est réalisateur. Son documentaire ''Nous sommes ici'' est sorti l'année dernière. Il y filme le quotidien des habitants de Jebel Jeloud, quartier populaire situé à la lisière sud de la capitale, autant dire un concentré de chômage, de misère économique et de difficultés sociales. Son prochain film ''Le Retour'', en phase de réalisation finale, est également produit par Nassredine Shili (décidément!).
Slim Abidi, 33 ans, musicien bassiste, fondateur du groupe Jazz Oil, réside entre Tunis et Paris. Présent sur la scène musicale contestataire depuis plus de 10 ans, il travaille avec Nejib, Yahya et Mahmoud sur la bande son de leur prochain film.
Mahmoud Ayad, 29 ans, pianiste, a travaillé avec de nombreuses personnalités de la scène alternative et contestataire en Tunisie.
Skander Ben Abid, 20 ans, clarinettiste et étudiant à l'ISEC, ainsi que deux amies étudiantes, artistes et activistes étaient également présents.
Yahya Dridi et Nejib Abidi: une complicité artistique sans faille.
La justice en Tunisie, on s'en balance !
L'arrestation a eu lieu alors que les jeunes artistes étaient tous réunis pour travailler sur la musique du film de Nejib. Encore une fois, force est de constater que le système sécuritaire et répressif est toujours en place grâce au gouvernement actuel, qui doit son avènement à la jeunesse. Celle-là même qui a donné de son sang pour pouvoir s'exprimer, se retrouve réprimandée et censurée sans que l'on sache pourquoi.
En première ligne, les artistes. Ces derniers créent, filment, produisent, triment, et ce, dans des conditions qui en ferait fuir plus d'un. Pourtant le réel – s'il dépasse très souvent la fiction – n'est rien d'autre que ce que les artistes vous montrent.
Alors il est grand temps que le Tunisien sache que les plus grandes dictatures commencent toujours par la censure et que si, aujourd'hui, il ne fait rien pour arrêter cela, demain sera trop tard! A peine, se mobilise-t-on pour faire sortir un artiste qu'un autre prend sa place. Jusqu'à quand ce jeu des chaises musicales? Depuis quand tourner un film est devenu synonyme d'affront à la Nation? Le recours à la censure devient donc un phénomène récurrent, au grand dam des artistes qui en ont fait les frais depuis plusieurs mois.
Dans un gouvernement où les prostituées du «jihad nikah» sont dans une mauvaise passe, où l'adoption est devenu halal – à condition bien-sûr que le père soit un jihadiste anonyme –, où les pêcheurs haussent le ton, les boulangers ont des problèmes croissants, et où le ministre de la Femme, en mode Angelina Jolie en Egypte, a plus d'empathie pour ses chaussures que pour celles qui arpentent le trottoir, le salut viendra de la rue comme un certain 14 janvier ; car et si, eux, n'ont que la barbe pour nous rire au nez croyant ainsi qu'ils ne restent que nos oeufs... Ooops nos yeux pour pleurer, la rue leur répondra: «Quand les poules auront des dents!»