Le village de Chaouache, site classé du patrimoine national recensé par le ministère de la Culture, est menacé de décomposition, voire d'effondrement, dans le cadre du projet d'achèvement du tronçon d'autoroute Wadi Zarqa-Bou Salem.

Par Kamal Chaouachi*

Chaouache, l'antique Sua dans la région de Béja, est un site classé du patrimoine national recensé par le ministère de la Culture au côté de noms célèbres comme ceux de Takrouna, Chebika, Matmata, Mellita et d'autres^[1]. Aujourd'hui, ce village est menacé de décomposition, voire d'effondrement, dans le cadre du projet d'achèvement du tronçon d'autoroute Wadi Zarqa-Bou Salem.

En effet, ce site, connu depuis des temps lointains pour son caractère pacifique et sa tranquillité légendaire, a été choisi, sans consultation préalable de ses habitants, pour l'installation prochaine d'une carrière d'extraction de matériaux de construction destinés à la voie rapide de circulation en question.

Les dolmens de Chaouache.

Le chantier est prévu pour fonctionner à 700 mètres seulement des habitations et terres agricoles environnantes. Comme l'usage de dynamite est classique dans ce type de configuration, les secousses provoquées par les déflagrations ne manqueraient pas d'atteindre les maisons et vestiges archéologiques environnants et de provoquer leur écroulement de manière progressive ou immédiate.

De même, les masses énormes de poussière qui accompagnent inévitablement de telles explosions constitueraient un risque énorme pour la production agricole locale et la santé des habitants. Aussi, ces derniers ont-ils manifesté ouvertement leur rejet en bloc de ce projet dangereux en interpelant par écrit, le 18 septembre dernier, le délégué régional de Béja à l'agriculture, le gouverneur de Béja, le délégué régional à la culture et le représentant national du Patrimoine (doléances du 4 octobre 2013)^[2].

Compte-tenu des caractéristiques humaines, sociales et archéologiques de Chaouache, ses habitants invitent naturellement les autorités à considérer un site alternatif plus adapté pour le type d'opérations envisagées. Ils se disent même consternés par un tel choix initial car ils s'attendaient plutôt à ce qu'on leur soumette des projets de développement visant à endiguer le chômage et l'exode rural; pas un plan de destruction de leur environnement, histoire, santé et moyens d'existence...

Les chambres mortuaires de Chaouache.

Le village et ses environs, situé à une quinzaine de kilomètres au nord-ouest de Mejez El Beb (l'antique Membressa d'Antonin, célèbre à l'époque chrétienne par ses martyrs), a tôt fait l'objet d'attention de la part d'archéologues, historiens et anthropologues. Par exemple, Gastion Vuillier, dans le récit de son excursion aux ruines d'Aïn Menzel, écrivait au dix-neuvième siècle: «En redescendant la montagne je songeais à ces Romains qui, préoccupés de l'hygiène, élevaient leurs villes dans les plus beaux sites, en général au flanc des coteaux, sur des terrains en pente balayés par un air pur. Ici ils avaient évité les bords insalubres de la Medjerdah [qu'enjambe la ville de Mejez El Beb], ils planaient dans la fraîcheur des cimes...»^[3]. Mais il faudrait également citer les dolmens enfermés dans des cercles de grosse pierres comme ceux de la fameuse nécropole mégalithique de Qbar r-Rum, les nombreuses chambres ou cavités mortuaires (hawanet)^[1][4], et tant d'autres aspects attractifs comme ce souvenir gardé de la lettre d'un des deux évêques de Sua adressée en 646 au patriarche de Constantinople Paulos, sous l'empereur romain d'Orient Constant II, laquelle visait à s'opposer à l'hérésie des Monothélètes^[5].

Dans ces conditions, il semble logique que les habitants de Chaouache penchent plutôt pour des projets comme celui d'un centre de cure thermale ou d'un complexe touristique.

Notes et références bibliographiques :
[1] Ministère de la Culture de Tunisie : ''Le patrimoine berbère de Tunisie : des temps préhistoriques à aujourd'hui. Edité en cinq langues'', Edition Régie 3 ANEP (Agence Nationale pour la Conservation et l'exploitation du patrimoine archéologique et historique); 07/1995.
[2] Nizar Al-Toukabri. ''Maqta' Chaouache: Hatar kabir 'ala l-bi'a wa—l bachar wa-t-ta'rih'' [Carrière de Chaouache: un grand danger pour l'environnement, l'homme et l'histoire] . Ach-Cha'ab, 12 oct. 2013.
[3] Gaston Vuillier. ''La Tunisie'' (illustrée par l'auteur), année 1896.
[4] Dr Berthollon. ''Exploration anthropologique de la Kh[r]oumirie''; Bulletin de géographie historique et descriptive. Année 1891, n°2.
[5] M. Bouyac. ''Notice sur le village berbère de Chaou[a]ch[e] et la ville de Sua''; Bulletin archéologique du Comité des travaux historiques et scientifiques; année 1894.
Une partie de cette précieuse documentation a été rassemblée par S. Fouad auquel l'auteur est particulièrement reconnaissant.