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Médecin et écrivain américaine célèbre, Joan Borysenko raconte l’histoire de son second voyage à Tunis, le 1er octobre 2010, sur les traces d’un précédent séjour qu’elle avait effectué dans notre pays, en 1966. Récit doux amer d’un retour qui se termine par une désillusion. Extrait…


«Le premier matin après mon arrivée à Tunis, le 1 octobre 2010, moi et mes deux sœurs, qui voyageaient avec moi, nous nous sommes aventurées profondément dans la médina de Tunis (une ancienne ville fortifiée) pour visiter la maison où j’ai vécu quelque 44 ans auparavant.

Un palais du 19e siècle
«À l’époque, mon ex-mari et moi étions de nouveaux volontaires du Peace Corps, et nous avons «hérité» ce palais du 19ème siècle, qui appartenait à un ministre du bey de Tunis, d’un groupe d’architectes du Peace Corps qui avaient vécu là pendant leur service.)
«Au cours de notre première semaine en Tunisie, en septembre 1966, nous sommes allés à Sidi Bou Said, la cité romantique toute en bleu et blanc posée sur une colline surmontant le rivage de la Méditerranée. Une fois là-bas, nous avons négocié, avec une grande naïveté et une certaine appréhension, le loyer de cette maison avec son propriétaire, un patriarche rusé, Sidi Bahri. On nous a servi du thé et nous avons pu tester nos nouvelles compétences linguistiques. Finalement, le loyer a été convenu, exactement ce que le vieil homme demandait.
«La maison, de construction traditionnelle, était complètement invisible de la rue, sauf pour la hauteur de ses murs et ses portes richement décorées. Ses chambres étaient conçues sur les trois côtés d’une cour intérieure. De ses plafonds, en plâtre cintré richement sculpté (comme dans l’Alhambra de Grenade), pendaient des lustres de cristal orné. La partie inférieure des murs intérieurs était incrustée de carreaux à motifs géométriques colorés.

Petit-déjeuner en l’honneur de Ted Kennedy
«La cour pavée de marbre mesurait 30 mètres carrés. Les murs étaient décorés de tuiles et les fenêtres, à l’intérieur des chambres, protégées et ornées par des barreaux métalliques peints en gris. C’est un espace fait pour le divertissement, et qui met en exergue les anciennes traditions architecturales musulmanes.
«Lors de notre première «réception», nous avons servi un petit café et un croissant à 80 ou 100 personnes le matin de la fête de Thanksgiving de 1966. Les volontaires du Peace Corps du Massachusetts et de la Californie et ceux qui travaillaient à Tunis ont été invités, ainsi que l’ambassadeur américain et d’autres responsables américains, pour rencontrer et accueillir le jeune sénateur Ted Kennedy et John Tunney, fils du célèbre boxeur et membre de la Chambre des représentants, qui effectuaient un voyage en Afrique du Nord.

La maison engloutie de la rue Ben Mustapha
«Retour donc à mon voyage de 2010: un taxi nous a déposé sur la place de Bab Souika. Nous avons marché sur une courte distance le long de la rue des Arcs, puis nous avons pris une étroite venelle non pavée, la rue Ben Mustapha. J’ai retrouvé la grande porte au n° 14 en pénétrant dans un sombre corridor y  conduisant. Mon cœur battait la chamade. J’appréhendais cette visite depuis longtemps. Je craignais que la maison ait été laissée sans réparations et serait tombée en ruine, que personne ne serait là pour ouvrir la porte, que mes compétences linguistiques, oubliées depuis longtemps, ne seraient plus convaincantes, ou que la maison ne serait plus, dans la réalité, comme dans mes souvenirs.
«Je trouvais bizarre qu’il y ait beaucoup de lumière au bout du couloir sombre. Arrivée au bout, j’ai tourné à droite pour frapper à la porte, mais il n’y avait plus de porte, juste une ouverture béante – la lumière ne venait pas de la cour de la maison, dont je gardais un excellent souvenir. Il n’y avait rien!
Ce que j’ai trouvé en 2010, c’est un parterre rempli de mauvaises herbes de trois pieds de haut, des bouteilles en plastique et autres détritus. Les murs extérieurs étaient restés quelque peu intacts entourant une masse de mauvaises herbes qui avaient englouti les arcs et les parois extérieures d’autrefois. Pas une tuile, pas un vestige de sculpture en plâtre, pas un morceau de marbre. Plus rien ne subsistait !

Je me suis effondrée et j’ai pleuré
«Je me tenais au milieu des mauvaises herbes, étourdie, immobilisée dans le silence complet et l’incrédulité. Ma mémoire a tenu toutes ces années, ma bien-aimée maison de la rue Ben Mustapha, lieu d’accueil de toute beauté, avait disparu. Je me suis effondrée dans les bras de mes compagnons de voyage, et j’ai pleuré.
«J’essaye toujours d’accepter la perte, tout en restant reconnaissante pour les quelques photos datée de 44 ans et pour les souvenirs encore vivants dans mon cœur et mon esprit.
«Quand je suis rentrée chez moi [aux Etats-Unis], mon amie la plus proche a écouté mon histoire. Elle a dit qu’elle lui rappelait ce que les survivants des camps de concentration avaient du subir à leur retour au domicile après la Seconde Guerre mondiale en retrouvant leur vieille réalité disparue, devenue un vague souvenir.»

Traduit de l'anglais par : I. B.

* Les titre et intertitres sont de la rédaction.

Source : The Huffington Post