Avec la disparition Abou Zayane Essaadi, la Tunisie perd l'un de ses meilleurs critiques littéraires, mais aussi une grande figure de la bohème artistique et culturelle.
Par Imed Bahri
Un des plus grand critique littéraire des cinquante dernières années vient de s'éteindre à l'âge de 76 ans. Zeitounien, diplômé de littérature arabe de l'Université du Caire, Abou Zayane Essaadi était une figure marquante de la critique littéraire arabe et l'un des rares critiques tunisiens reconnus par les écrivains orientaux et égyptiens notamment. Il était aussi un érudit et pouvait vous citer de mémoire les titres, les auteurs et les différentes éditions, sans parler des contenus des principaux ouvrages de la littérature arabe classique et moderne.
Sans connaitre la langue de Voltaire, qu'il ne maîtrisait pas, il a lu les principales œuvres des grands philosophes des Lumières des grands romanciers et poètes français traduites en arabe.
Grand défenseur de la pureté linguistique, il connaissait parfaitement sa grammaire comme tout zeïtounien et défendait un islam rigoriste et fondamentaliste, tout en ayant mené, dans sa jeunesse, une vie de buveur invétéré. C'était sa période paganiste («jahiliya»), comme il aimait dire.
Le défunt, qui ne rechigne pas à s'attaquer aux auteurs qui ne sont pas de son goût, avait mené de grandes batailles littéraires contre de icônes de la littérature tunisienne, comme Mahmoud Messaadi, qu'il critiquant en public tout en le vénérant en privé.
Il traquait les plagiats littéraires et poétiques jusqu'à ses plus proches amis et avait toujours la passion de chercher, dans sa volumineuse bibliothèque qui compte des milliers d'ouvrages, la faille pour débusquer les fraudeurs. Il était, de ce fait, la terreur des plagiaires et comptait dans les petits cercles de Tunis du monde de la littérature de nombreux ennemis et très peu d'amis.
Depuis son retour d'Orient, professeur de littérature classique de son état, il tenait sans discontinuité des «majlis» (salons) dans au moins 3 cafés différents où se rencontraient bohémiens, poètes, romanciers et journalistes, qui finissaient toujours par des chamailleries et par des «exclusions», souvent temporaires, d'un récalcitrant à la critique acerbe d'Abou Zayane Essaadi. Il tenait toujours à payer la table, pour faire bon prince, et dépensait son maigre salaire à payer des tournées pour ses élus du jour.
Mémoire vivante de Tunis depuis le début des années cinquante, le critique littéraire vous racontait de mémoire tous les détails de la vie de la cité de Tunis, en particulier les histoires succulentes de la vie de bohème des artistes, poètes et autres intellectuels.
La compagnie de l'écrivain, qui tenait salon dans les cafés de Tunis, était fort appréciée.
Quant à ses relations à la politique, le vieux nationaliste arabe qu'il était y voyait un élément incontournable de la vie de tout intellectuel. Il vouait un culte incroyable aux hommes de pouvoir tant qu'ils y sont, mais ce culte est mélangé à une méfiance absolue vis-à-vis de leur capacité à nuire, et ceci quelles que soient leurs orientations politiques, souffrant toujours d'un manque de reconnaissance dont ils croyaient être la victimes.
Abou Zayane Essaadi était un grand agitateur culturel et jusqu'aux derniers jours de sa vie, il continuait de recevoir à sa table, au Café de Paris, au centre-ville de Tunis, tous ceux qui cherchaient conseils ou avis ou parfois tout simplement à se prévaloir de sa reconnaissance. Il laissera un vide difficile à combler. Que Dieu le couvre de sa miséricorde et lui ouvre les voix du paradis auquel il a toujours cru.
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