La dernière pièce de Taoufik Jebali est une critique acerbe de la Tunisie post révolution. Pas de quoi pavoiser: le citoyen est à plaindre, le pays à pleurer... de rire.
Par Anouar Hnaïne
Mardi, ouverture de la 50e session du Festival international de Hammamet. La direction a choisi le théâtre pour cette soirée, on nous a offert un spectacle vraiment enthousiasmant par l'étendue et le courage des propos et de la mise en forme, avec ''Klem Ellil, zéro virgule'' de Taoufik Jebali.
Gradins pleins, public assez jeune et franchement discipliné, présence massive des médias qui se bousculent, présence des ministres de la Culture et du Tourisme. Au programme: rires, flèches caudines et dérision sans retenue.
Raouf Ben Amor et Taoufik Jebali, une amitié renforcée par la complicité de la scène.
La pièce, les auteurs qui sont eux mêmes metteurs en scène, sont escortés d'une bonne presse et d'une image retentissante.
Du rire à en pleurer
Parmi les spectateurs, quelques-uns ont vu le spectacle, ils sont venus découvrir les nouveautés et se payer encore une tranche de rire. Nous faisons partie de ces spectateurs, nous n'avons pas regretté le déplacement.
Le théâtre de plein-air sied bien à ce genre de pièce, riche en mouvements, lumineuse en «trouvailles» pertinentes, situations burlesques et improvisation de bon aloi.
Le public est venu nombreux pour découvrir une pièce dont les auteurs bénéficient d'une autorité certaine. Kamel Ferjani, directeur du Centre culturel international de Hammamet (CCCI), l'a encore rappelé dans son discours d'ouverture, évoquant «les valeurs sûres de notre théâtre et des pièces de première qualité».
Rires, flèches caudines et dérision sans retenue.
Etincelant ! Jusque dans le style de jeu, la pièce a été jouée fréquemment à El Téatro. Les protagonistes l'ont bien affinée à cette occasion. Ils ont gagné en aisance et en assurance, ajouté quelques séquences, parmi lesquelles, un hommage ému à Mahmoud Larnaout, compagnon de route et gai luron décédé.
Un marathon, sans temps mort, haletant, absolument captivant, des scènes cocasses, critiques et franchement décapantes. Un discours qui roule dans la farine et en vrac les partis, les ministres du gouvernement, les parlementaires, les analystes, les magistrats et spécialement les intégristes religieux qui sont, il faut le dire, du pain bénit pour ce genre de spectacle. Les anecdotes, les allusions sont réelles ou inventées, fabuleuses et fort bien exploitées.
Le public rit à gorge déployée, les acteurs y ajoutent de la sauce, sans doseur, des tabous sont levés. Ici, on parle franc, de l'intimité, de l'hypocrisie, de la vanité, des ambitions, de la frustration et du sexe.
La société en miroir
Des situations qui vous embarquent dans l'au-delà, des survivants qui égrènent leur passé, leur actualité, leurs voisins et leurs soucis de santé.
Des situations qui vous embarquent dans l'au-delà...
Au brio, s'ajoute une critique acerbe de la société : le miroir fonctionne, le public y voit sa condition. Pas de quoi pavoiser: le citoyen est à plaindre, le pays à pleurer. Des dialogues provoquent des éclats de rire, et un sarcasme qui vous fait réfléchir sur l'état du citoyen tunisien, livré à lui-même en temps de révolution.
Les cibles sont nombreuses, on a beaucoup apprécié la scène des juges en train de lire le procès verbal d'un «révolutionnaire», gestes rapides, bajoues de Jebali qui tremblotent, yeux ronds d'étonnement et répliques à tomber par terre. On a moins aimé la scène des revenants, habillés de blanc qui ont fait un voyage extragalactique.
Sur les gradins, les ministres de la Culture, Mourad Sakli, et du Tourisme, Amel Karboul.
La solution à nos maux? Ecouter les chants des oiseaux. Fin. Le public est ravi, les caméras envahissent les coulisses à la recherche des réponses à leurs questions. Raouf Ben Amor, personnage principal aux côtés de Jebali: «Ce n'est plus des sketches courts, ça a évolué en pièce de théâtre à part entière». Du théâtre de cette nature, on en redemanderait.
Ezzedine Gannoun, dramaturge et metteur en scène au long cours commente: «Il est loin le temps où les festivals de Carthage, Hammamet ou Sousse ouvraient et clôturaient leur session avec des pièces de théâtre. Il faut reprendre cette tradition». Kamel Ferjani opine, content d'avoir fait le bon choix.
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