Béjart disait «La parole divise. La danse est union.» Peut-être est-ce pour cela que le public de Carthage, malgré l'actualité funeste, a répondu présent.
Par Samantha Ben-Rehouma
Le public était nombreux, samedi 27 juillet 2014, sur les travées du théâtre romain de Carthage, pour un énième élan de résistance... par la danse, l'art, la passion!
En tout, c'est une trentaine de danseurs venus de tous horizons (Afrique, Suisse, Russie, Italie, Etats-Unis, etc.) qui ont déboulé à grands pas sur la scène de Carthage.
Une valse de portraits
Certes, si la barre ne fut pas très haute, et certaines huées ont émané, d'ici et là, qu'importe, dans ''Ainsi parlait Zarathoustra'' Nietzsche ne dit-il pas que le danseur a ses oreilles dans ses orteils? Donc peine perdue pour tous les auteurs de ces «hou hou», les mêmes, cela dit en passant, qui quittent le spectacle et se lèvent devant vous sans aucun savoir-vivre en se fichant totalement de savoir qu'ils vous empêchent de voir la suite (d'ailleurs vous remarquerez que ce sont aussi les mêmes qui se lèvent avant le générique au cinéma). Inacceptable. Donc aussi noire est la diatribe, elle n'atteindra pas le cygne qu'est le danseur!
Une danseuse orientale a pimenté le final du spectacle.
Encore ici, Nietzsche (Zarathoustra) considère comme gaspillée toute journée où il n'a pas dansé... Aussi, pour faire honneur, comme Martha Graham, aux grands danseurs qui ne sont pas grands à cause de leur technique mais à cause de leur passion, rien d'autre à faire que de se laisser volontiers «emboîté» dans ce manège pas piqué des hannetons !
De la variation au pas de deux, le spectacle, narré par Pierre Richard, s'enchaîne sans contretemps. Les portraits défilent. Les contrées n'ont jamais été aussi proches.
En un saut de biche, on danse le Sirtaki avec Zorba le Grec, on revit les années folles en esquissant des pas de charleston façon Chorus Line meeting Great Gatsby. Puis, à port de bras, on gigue avec les danseuses en mode River Dance qui nous mène sur les rives de la Volga où de belles matriochkas virevoltent avec des Cosaques qui terminent ce tableau – digne d'Un Violon sur le Toit – sur une Battle Kazatchok (impressionnant !).
Danse le pied agile à souhait pour une gigue aux couleurs celtes.
En un temps de flèche, on atterrit, en révérence, à Orly de Jacques Brel, les pas de deux des amoureux ne deviennent plus qu'un... Sur la piste, là, seul, dans un maquillage à la Kiss et sous le thème de ''I'm going Slightly Mad de Queen'', le danseur, dans un soubresaut, se livre sans artifice: le corps devient un livre ouvert où l'on réactualise les émotions vécues antérieurement. Superbe expression de l'inconscient, catharsis incomparable.
Le legs de Maurice Béjart prend pied: l'expressionnisme symbolique, la féérie du mouvement ne sont rien s'ils ne sont pas transcendés par les idées philosophiques touchant à la métaphysique.
Arrivent alors les sons du djembé, autre style, autre danse, autre culture, autre continent.
Le spectacle est un vrai kaléidoscope. C'est comme si le spectateur avait dans ses mains un View Master passant d'un cliché à l'autre tout en actionnant la gâchette pour visionner un disque... qui a plus d'un tour dans son sac !
Don't Walk Dance
Ma prof de danse disait : «Pour tout ce qui est tu, prends ton tutu!»
La danse est l'art de tout dire avec des gestes: quand tu te mets à danser, et que tu te sens bien, c'est comme si le monde t'appartenait. Depuis la nuit des temps, la danse symbolise tout ce que la parole ne peut décrire. Danser c'est sûrement une preuve très forte qu'il y a vie, qu'il y a individu et société. Danser, c'est comme parler en silence : dire plein de choses sans dire un mot. C'est lutter contre tout ce qui retient, tout ce qui enfonce, tout ce qui pèse et alourdit. Bref, c'est une manifestation !
Les ballets russes entre tradition et modernité.
«On a deux vies. La deuxième commence le jour où on réalise qu'on en a juste une», disait Confucius.
La Tunisie est en chute libre et comme disait Desproges : «Les esprits sont comme les parachutes, ils ne fonctionnent que lorsqu'ils sont ouverts.»
A l'heure d'aujourd'hui, je ne vois rien pour arrêter cette chronique d'une mort annoncée d'un pays qui est dans tous ses états de se voir sans Etat, si ce n'est de trouver la voie pour porter haut la voix des Tunisiens, à travers les élections, certes, mais à travers des manifestations avant tout. Enough is enough!
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