La pleine lune, plus lumineuse que jamais, en ce lundi soir, 11 août 2014, est prête à accueillir la très œcuménique superstar du plat pays Paul Van Haver alias Stromae (Maestro en verlan).
Par Samantha Ben-Rehouma
Le nouveau Brel, abstraction faite de la musique si on ose dire, a transformé en fournaise ultra festive le théâtre romain de Carthage plein à craquer, non pas de jeunes hipsters branchés ou encore de geek aux pantalons loufoques et bretelles colorées (que nenni !) mais d'un public hétéroclite «à la Tintin» comprenez de 7 à 77 ans: des parents réjouis à l'idée d'accompagner leurs ados excités de revoir leurs copains de classe (Lycée Cailloux, PMF, ISC, Père Blanc, etc.) de fashion-mamies dont la mise en pli et la manucure détonaient dans ce décor, somme toute, de «djeuns» voire d'enfants. Bizarre, à croire que l'info – diffusée en masse ces derniers jours – interdit aux moins de 6 ans était, en vérité, une pub supplémentaire...
Bref, un vrai raz-de-marée «humain à l'eau» !
Stromae, habillé et coiffé premier de la classe en chaussettes et gilet Jacquard-R Carré.
Stromaeoutai?
La canicule n'a pas découragé les fans de Stromae qui (pour les plus courageux) faisaient déjà le pied de grue dès 16h! Cinq heures plus tard, la foule s'intensifie, et à l'intérieur et à l'extérieur, de quoi se demander «vont-ils tous pouvoir rentrer?».
L'atmosphère est électrique tant on sent dans le public la tension des concerts attendus depuis longtemps. Les esprits s'échauffent, les gens se disputent, surtout côté chaise où l'on veut s'asseoir (car plus de place derrière) sur celles réservées pour les VIP (entre 100 DT et peanuts y a pas photo !) n'hésitant pas à appeler la sécurité et là c'est à celui qui criera et insultera le plus fort (sport national en Tunisie).
La foule s'impatiente, des olas déferlent dans les gradins, des applaudissements incontrôlés-incontrôlables puisque dans la pénombre on prend l'ingénieur du son pour Stromae.
L'attente est grande (à quoi va ressembler le spectacle?) et après l'hymne national chanté à l'unisson et les «Tahya Tounes», les lumières s'éteignent, les tablettes et smart phone s'allument. Un petit dessin animé en toile de fond Noir et Blanc (genre Gorillaz, Kirikou et Les Temps Modernes) montrant un petit Stromae qui marche, escalade, s'envole et tombe dans le vide, donne le temps aux trois musiciens – habillés style Orange Mécanique – de s'installer de chaque côté de la scène, derrière deux immenses racines carrées lumineuses et mobiles. Puis (at last!) Stromae, habillé et coiffé premier de la classe en chaussettes et gilet Jacquard-R Carré (fermé jusqu'au dernier bouton et ce malgré les 38 degrés), apparaît au milieu des racines carré lumineuses, symbole du titre de l'album qui (puissance n+1) n'en finit pas de se hisser en haut des charts !
Le corps frêle et désarticulé de Stromae-Pinocchio envahit l'espace scène.
Musique Maestro
Tout est bien rodé, réfléchi, scénographie géniale qui en jette : on en prend plein les yeux dès la première seconde, on est attiré par cette lumière et tout comme Carol Anne hypnotisée par le téléviseur dans Poltergeist de Tobe Hooper, on ne peut lâcher cette scène des yeux.
Les trompettes sonnent et Stromae entre sur ''Ta Fête''. Le son à faire pâlir les plus grands DJ enflamme Carthage, les gens sautent, dansent et scandent «Ta Fête» à tue-tête. Le corps frêle et désarticulé de Stromae-Pinocchio envahit l'espace scène, tantôt au micro, tantôt avec ses pads tantôt faisant de la batterie électronique.
Tout est calibré au millimètre près, un vrai show: on tape des mains en chantant ''Bâtard''. Avant ''Peace Or Violence'', il lance «Aslema Tunisois, Tunisoises, Tunisiens, Tunisiennes!». Il file en coulisses, change de costume, ses musiciens installent en bord de scène une chaise et une table, Stromae grâce au rouge à lèvres devient Stromaette et ''Tous les Mêmes'' débute.
L'artiste se déhanche, nous prouve qu'il est digne d'un danseur virtuose tant ses chorégraphies sont d'une précision incroyable, et ce, quel que soit le rythme (cubain pour ''Ave Cesaria'', pure électro pour ''Humain à L'eau'' ou opéra pour ''Carmen''). Les gens crient d'admiration. Rien d'autre à faire qu'applaudir tant il nous en met plein la vue !
C'est maintenant au tour du méga tube qui a fait sa notoriété: ''Alors On Danse''.
Alors on danse !
Soudain le noir total, l'écran projette une lumière blanche, on croit voir d'immenses monstres arachnéens, prélude de ''Quand C'est''. Le public s'assied. Une voix d'enfant reprend une comptine, Stromae psalmodie «Mais oui on se connait bien/T'as même voulu t'faire ma mère, hein /T'as commencé par ses seins/Et puis du poumon à mon père, tu t'en souviens? /Cancer, cancer/Mais dis moi quand c'est?».
Pas étonnant que ce dandy aux chemises blanches immaculées a autant de succès avec les thèmes pour le moins sensibles : cancer, adultère, parentalité, racisme, misogynie, société de consommation, individualisme, etc.
Le tant attendu ''Formidable'' arrive, le défenseur des ''Moules Frites'' («c'est belge, dit-il, n'en déplaise aux Anglo-saxons qui appellent ça French Fries, autant dire que la Baklawa vient de Paris!!») débarque sur scène en titubant, un de ses musiciens le sort de scène sur son dos et la foule entonne en chœur le fameux «Tu étais formidable, j'étais fort minable/ Nous étions formidables.».
C'est maintenant au tour du méga tube qui a fait sa notoriété: ''Alors On Danse''. Avec une énergie incroyable du vrai performer qui ne lâche rien, il nous offre une version longue samplée sur des tubes électro des années 90 : ''Push The Feeling On'' (The Nightcrawlers), ''Gypsy Woman'' (Crystal Waters) et ''Mr. Vain'' (Culture Beat)...Transe assurée ! Transporté par ses musiciens – tel le hubot de Real Humans – et vu la scénographie, on comprend tous qu'il s'agit de ''Papaoutai'' et que c'est le dernier titre. La foule en délire ne veut plus laisser le dancefloor de Carthage, c'est Strobien pour partir maintenant.
Mais toutes les bonnes choses ont une fin et c'est sur un «Ayshek» que Stromae quitte la scène. Il reviendra pour une reprise de ''Tous les mêmes'' a capella avec ses musiciens demandant au public le silence le plus complet, aucun applaudissement («Même si c'est impossible», ironisera-t-il). Très belle image de fin pour ce Maestro que l'on apprécie ou pas car, comme disait Brel, «la qualité d'un homme se calcule à sa démesure : tentez, essayez, échouez même, ce sera votre réussite».
Je rajouterai mieux vaut une foule de fans à un peuple de fanatiques.
Photos: Samy Snoussi.
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