Le saccage de la statue de Tahar Haddad à El-Hamma, sa ville natale, requiert une réaction plus forte pour porter le message de modernité dont ce penseur réformiste était le héraut.
Par Hamdi Hmaidi
Le saccage de la statue de Tahar Haddad à El-Hamma* suscite-t-il plus d'une interrogation? Certains diront que ces interrogations resteront sans réponse tant qu'une enquête sérieuse n'a pas été ouverte et que les auteurs du crime n'ont pas été identifiés. Certes pour comprendre, il faut attendre que ceux qui ont commis cet acte odieux soient sous les verrous et traduits devant la justice (encore faut-il qu'ils le soient !). Mais ce discours strictement juridique a tout l'air d'un aveu d'impuissance ou d'une attitude d'indifférence.
La signature des démolisseurs
Et pour cause! Nous ne savons pas qui sont ces individus. Toutefois, ce qu'ils ont fait porte clairement leur signature ainsi que celle des commanditaires. Ces démolisseurs ne sont-ce pas les mêmes que ceux qui ont vandalisé les mausolées des saints et du père de la Tunisie moderne et indépendante, Habib Bourguiba? Ne sont-ils pas les mêmes qui ont jeté à terre le drapeau national pour le remplacer par une bannière noire? Ne sont-ils pas ceux qui ont assassiné nos soldats et nos agents de sécurité?
On ne connait pas les individus (ou pas encore) mais on connait les «forces occultes» qui vouent une haine viscérale à notre pays, à ses valeurs culturelles et à son patrimoine, qui cherchent par tous les moyens à faire parler d'elles.
Savoir, c'est prendre conscience d'un danger qui nous guette. Savoir implique un devoir de condamnation et de riposte. Femmes et travailleurs ne peuvent rester de marbre face au préjudice subi par celui qui a milité pour leur émancipation et leur droit à la dignité. La réaction évidente et spontanée de tous les Tunisiens et de toutes les Tunisiennes est de dire non à ce forfait qui a atteint un symbole majeur de notre modernité. En tant que représentantes des autorités officielles, les ministres de la Femme et de la Culture l'ont fait. Les forces vives du pays, quant à elles, pourraient le faire en organisant des manifestations de protestation.
Mais, comparé par exemple à ce qui a été entrepris en France après l'attaque de ''Charlie Hebdo'' (quoique, dans ce cas, il y a eu mort d'hommes), ce geste demeure faible malgré sa force.
Dire halte aux rétrogrades
Aujourd'hui, il est impérieux que tous les médias se mobilisent pour transmettre un message aux rétrogrades. Leur dire halte, c'est consacrer des émissions, des pages spéciales à Tahar Haddad et aux bâtisseurs de la Tunisie qui ont entamé cette tâche depuis des millénaires, c'est organiser des débats autour de la problématique de la modernité. Maisons des jeunes, maisons de la culture, écoles, lycées et universités sont invitées à prendre part à cet effort.
En plus de cette action ponctuelle, les ministères de l'Education et de la Culture sont plus que jamais appelés à assumer pleinement leur rôle en orientant leur politique vers un ré-ancrage dans la modernité aussi bien dans les programmes scolaires que dans le soutien de la production littéraire et artistique.
De plus, une statue de Tahar Haddad a été saccagée! Qu'à cela ne tienne! Les autorités locales, régionales et nationales pourraient prendre la décision d'en ériger plus d'une dans toute la Tunisie, que ces statues soient celles de Tahar Haddad ou d'autres penseurs, hommes de lettres et artistes tunisiens.
Juste un dernier point. Dans cette affaire, incriminer les gens du sud serait une erreur monumentale. C'est même jouer le jeu de ceux qui veulent diviser le pays. Ce n'est pas parce que cela s'est passé à El-Hamma que cela autorise à soupçonner les habitants de la région. Nous savons que les «forces occultes» ont le bras long, qu'elles ciblent des objectifs et des endroits précis pour frapper leurs coups. Leurs hommes de main viennent d'ailleurs, agissent puis disparaissent dans la nature.
Pour que cela ne se reproduise plus, une initiative urgente est à prendre par la société civile, les éditeurs et d'autres acteurs sociaux: la réédition des livres de Tahar Haddad et leur diffusion à grande échelle moyennant un prix modique.
Utopique? Peut-être, mais sans doute plus efficace que les simples communiqués et déclarations de condamnation.
* La statue érigée au centre-ville d'El-Hamma, gouvernorat de Gabès (sud-est), à la mémoire du penseur réformiste, leader syndicaliste et chantre de l'émancipation de la femme du début du siècle dernier, a été détruite par des inconnus, dans la nuit du samedi à dimanche 8 février 2015.
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