L'écrivain allemand Günter Grass, mort lundi 13 avril 2015, à 87 ans, avait, il y a 3 ans, dénoncé le silence sur la menace que constitue Israël pour la paix mondiale.
Par Abdelatif Ben Salem
Au soir de sa vie, le Prix Nobel de littérature en 1999 avait provoqué une grande polémique en dénonçant le «silence unanime» en Occident sur le danger que fait peser Israël sur la paix dans le monde.
La controverse, qui avait agité, pendant plusieurs semaines, le monde politique et littéraire en Europe et aux Etats-Unis, à été provoquée par la publication, le 4 avril 2012, par quatre quotidiens internationaux ''Süddeutsche Zeitung'', ''El País'', La Repubblica'' et ''The New York Times'' d'un poème en prose, intitulé ''Ce qui doit être dit''.
Dans ce texte l'auteur du ''Tambour'' accuse l'Etat d'Israël de constituer une menace sérieuse pour la paix dans le monde.
Ecrit dans le style pamphlétaire, mariant à la fois le phrasé techniquement politique au souffle poétique qui vise à susciter l'émotion plutôt que de déclencher des polémiques. Grass a choisi curieusement de s'exprimer grâce à un poème pour briser l'omerta généralisée – selon lui justifiée par la crainte de se voir taxé d'antisémitisme – qui entoure le soutien inconditionnel de l'Allemagne fédérale à l'Etat hébreu comme forme d'expiation de ses fautes passées.
Le poème écrit au soir de sa vie, avec, comme il le dit «l'ultime encre», n'ajoute véritablement rien à la qualité de son œuvre monumentale, mais il demeure toutefois un témoignage édifiant sur les entraves à la liberté d'expression y compris dans les pays les plus démocratiques.
''Ce qui doit être dit'' peut être lu aussi comme un testament à forte imprégnation morale, au sens ou le choix de poétiser à partir de l'indicible stigmate que chaque allemand porte en lui-même, peut être considéré comme une mise en garde contre les risques qu'une culpabilisation qui ne prend pas en compte équitablement les droits d'autrui à la vie, peut engendrer des nouvelles tragédies et contribuer à la perpétration des nouveaux crimes.
Kapitalis rend hommage à l'écrivain allemand en republiant, en guise d'adieu, la traduction française de ce poème, ralisée par notre ami Abdellatif Ben Salem et publié en 2012, peut-être son dernier texte, puisqu'il n'a pas écrit grand chose depuis...
Ce qui doit être dit
Pourquoi dois-je garder si longtemps le silence
Sur ce qui est manifeste et auquel on a eu recours
Dans des jeux de guerre, au terme de laquelle, nous survivants
finissons comme des notes de bas de page.
Sur ce prétendu droit d'attaque préventive
Qui pourrait anéantir le peuple iranien,
Soumis et conduit à la joie organisée
par un fanfaron,
Parce qu'on soupçonne dans sa juridiction
La fabrication d'une bombe atomique
Mais, pourquoi m'abstiendrais-je de citer
Cet autre pays où
Depuis des années – bien que tenu secret –
On possède l'arme nucléaire développée,
En dehors de tout contrôle, puisque
inaccessible à toute inspection?
Le silence unanime sur cette question
Auquel obéit mon propre silence
Je le ressens comme un mensonge pesant.
Et contrainte qui menace aussitôt de frapper
quiconque refuse de s'y plier;
De l'habituel verdict d'«Antisémitisme»
Maintenant, parce que mon pays,
Accablé et réprouvé maintes et maintes fois
Pour des crimes spécifiques
Sans aucun équivalent,
A nouveau et par routine, bien que
D'office considéré comme réparation,
Va livrer à Israël un autre sous-marin capable
de lancer des missiles destructeurs
sur l'endroit où personne n'a prouvée
L'existence d'une seule bombe,
Même si on voulait fournir comme preuve la crainte...
Je dis ce qui doit être dit
Pourquoi m'être-tu trop longtemps?
Parce que je croyais que mon origine
Marquée d'un stigmate indélébile,
m'interdisait d'attribuer ce fait, tout à fait évident.
Au pays d'Israël, auquel je suis lié
Et désire le rester,
Pourquoi ne le dis-je que maintenant,
Vieillissant et avec mon encre ultime;
Israël puissance atomique menace
La paix déjà fragile dans le monde?
Parce qu'il faut dire
ce qui doit être dit maintenant, car demain il sera trop tard,
Pourquoi – déjà suffisamment incriminés comme Allemands –
Prendrons-nous le risque de devenir complices d'un crime
Annoncé, ou notre part de culpabilité
Ne pourra disparaître
Par aucune des excuses habituelles?
J'avoue: je ne me tairai plus
Parce que j'en ai assez
De l'hypocrisie de l'Occident et on peut espérer
que beaucoup se libèrent aussi de leur silence, et exigent
de l'auteur de cette menace avérée qu'il renonce
A l'usage de la force, et insistent
Pour que ces deux pays acceptent
Le contrôle permanent et sans entraves
Par une instance internationale
De la puissance atomique israélienne
et des installations nucléaires iraniennes.
Alors seulement, nous pourrions aider tout le monde, Israéliens et Palestiniens,
Et tous les êtres humains qui dans cette région
Habitée par la folie
Vivent côte-à-côte dans l'inimité,
A se détester réciproquement,
Et nous aider enfin nous-mêmes aussi.
Traduit par Abdelatif Ben Salem
Courtesy by ''Süddeutsche Zeitung'', ''El País'', ''La Repubblica'', ''The New York Time'', et Miguel Sáenz, traducteur espagnol de l'œuvre de Günter Grass.
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