Pour inciter les enfants à lire, il ne suffit pas d'exposer des livres en vitrine. Il faut leur offrir des univers qui les accrochent, les font rêver et collent à leur époque.
Par Zohra Abid
C'est la conclusion partagée par des spécialistes de l'écriture pour les juniors (12-16 ans), lors d'un colloque sur «la littérature destinée aux enfants», organisé par l'Arab Tunisian Bank (ATB), en collaboration avec l'Association Forum de la Littérature de l'Enfant, vendredi 25 avril 2015.
La lecture à l'heure d'internet
Les enfants d'aujourd'hui ne lisent plus ou pas assez. Ils n'en ont plus le temps. Ni, parfois même, le goût. Les jeux sur internet et les émissions pour adultes à la télévision accaparent leur attention, et la littérature pour jeunes ne les intéresse pas outre mesure. Et pour cause. Les illustrations ne sont pas suffisamment attrayantes. Le style est souvent ronronnant et l'imagination pas assez foisonnante.
Que faire pour que les enfants ne boudent plus le livre? Que font les parents pour intéresser les enfants à la lecture? Que font, à leur tour, les enseignants pour réconcilier les élèves avec la lecture? Que fait l'Etat? Quel rôle pourrait jouer internet, la télévision ou autres supports des temps modernes pour que les jeunes cessent de bouder la lecture? C'est tout un monde à revoir, mais par quoi commencer?
Tels sont les questions que se sont posées des experts en littérature pour enfants lors de ce colloque. Pour réhabiliter les bonnes vieilles habitudes de lecture, il faut commencer par regarder la réalité en face, admettre l'inadéquation entre la demande des jeunes lecteurs et l'offre proposée par les auteurs et les éditeurs, identifier de nouveaux centres d'intérêt, inventer des formes d'écriture et de lecture privilégiant la participation et l'interactivité. Il faut aussi se rapprocher des enfants et des jeunes, les écouter, les encadrer et les sortir de la solitude dans laquelle les confinent les consoles de jeu et les tablettes.
Bref, l'écrivain et l'éditeur, tout comme les parents et les éducateurs, ont une grosse part de responsabilité dans la désaffection des enfants et des jeunes vis-à-vis du livre et de la lecture. Il s'agit donc, aujourd'hui, de remettre en question les anciens canons d'écriture et en inventer d'autres, plus en phase avec l'époque, ses codes, ses ressentis et son esthétique, de manière à produire des livres qui répondent mieux aux attentes des jeunes lecteurs, accompagnent leur développement intellectuel et contribuent à leur épanouissement.
Les parents doivent amener les enfants progressivement à lire au moins une trentaine de minutes par jour.
L'accompagnement en question
Les intervenants (tunisiens, algériens, marocains, libyens, syriens, égyptiens et libanais) ont fait pratiquement le même diagnostic et évoqué les mêmes difficultés qui handicapent le développement de la littérature pour enfants.
Certes, la langue arabe, qui hérite d'une très vieille tradition littéraire, est riche en écriture, en poésie, en musicalité... mais, il faut la réinventer sans cesse, en explorer les mille et une possibilités stylistiques, l'adapter à l'esprit du temps et la rendre plus apte à exprimer les idées, les valeurs et les émotions de l'époque contemporaine.
L'invention et l'innovation s'inscrivent dans une triple exigence : la recherche de l'inédit et du surprenant, l'enracinement dans la tradition et l'ouverture sur l'universel.
C'est là, on l'a compris, un travail de savant et d'artisan, qui exige autant de maitrise de l'instrument linguistique que de capacité à inventer des formes nouvelles. Et cela est valable aussi bien pour l'écriture, que pour l'illustration et les techniques de l'édition. Travail qui doit, bien sûr, être renforcé par l'apport des parents, des enseignants et des éducateurs. Ces derniers doivent aussi accompagner les petits dans la lecture.
Les spécialistes sont unanimes : il faut amener les enfants progressivement à lire au moins une trentaine de minutes par jour. Il faut les y encourager par tout moyen. Peu à peu, ils familiariseront avec le livre, l'odeur du papier, la saveur des mots, la beauté des illustrations, l'émotion des histoires, la complexité des situations et des personnages, etc.
Autres recommandations : amener souvent son enfant à la librairie et lui faire choisir les livres qui suscitent chez lui un désir de découverte. Il ne faut rien lui imposer, mais l'aider à trouver les livres répondant à ses intérêts personnels. Et surtout, et c'est le plus important, partager avec lui le plaisir de la lecture, pour faire de cet acte un moment de complicité et de convivialité. Et puis, un parent qui lit offre un bon modèle à suivre.
La tradition de l'échange des livres dans les établissements scolaires et les bibliothèques publiques a disparu au fil des ans, ont déploré certains intervenants. Cette tradition, jadis transmise de génération en génération, doit être remise au goût du jour et c'est là le rôle des enseignants, ont-ils expliqué, ajoutant que l'Etat doit y contribuer en dotant les établissements scolaires et les maisons de culture des espaces et équipements adéquats.
Il existe aussi des librairies virtuelles où l'enfant peut naviguer au gré de son désir.
Encourager les librairies virtuelles
L'internet n'est pas, comme on le dit souvent, un ennemi du livre et de la lecture. Au contraire, il pourrait jouer un rôle important dans la réconciliation des jeunes avec la littérature. Plusieurs sites web sont spécialisés dans la vente des livres. Il existe aussi des librairies virtuelles où l'enfant peut naviguer au gré de son désir. Outre les livres numériques gravés sur CD, désormais en vente dans beaucoup de librairies, beaucoup de livres sont téléchargeables et l'enfant peut trouver la méthode de lecture qui convient le mieux à son tempérament et à ses habitudes.
Les librairies en ligne méritent d'être encouragées dans les pays arabes, dont la Tunisie où, selon les dernières statistiques, 81% de la population n'ont pas lu un seul livre au cours de l'année précédente. Ça donne à réfléchir...
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