debat-tunisie
Depuis la création de son blog ‘‘Debat Tunisie’’, il y a 3 ans, ses dessins humoristiques tournant en dérision Ben Ali et son régime autiste fleurissent sur les réseaux sociaux, mais, deux mois après la chute de l’ex-dictateur, -Z- préfère rester dans l’anonymat.


Nous avons découvert les caricatures de -Z- (c’est son pseudo) à travers son blog ‘‘Debatunisie’’, longtemps censuré par Ammar 404, où il vilipendait la vie politique tunisienne et, surtout, le clan du dictateur déchu, son épouse, l’intrigante Leïla Trabelsi, ‘‘La régente de Carthage’’, et sa smala mafieuse: Sakher El Materi et ses fumeuses tartufferies de jeune homme de bonne famille, Imed Trabelsi le voyou de banlieue, voleur de yachts et de belles limousines, et Belhassen Trabelsi, grand racketteur devant l’Eternel.

Plume acide, audacieuse et intrépide
On a aimé le trait d’esprit de -Z-, mais aussi son trait tout court. Une plume alerte, amusée, acide, audacieuse et intrépide, qui nous change de la caricature acidulée et policée des Lotfi Ben Sassi & co.
Dire que -Z-, à l’instar des blogueurs, des rappeurs, et des facebookers, autres tenants de l’expression alternative en Tunisie, ont joué un rôle essentiel dans le succès de la révolution tunisienne est presque un euphémisme. Le caricaturiste blogueur a en effet accompagné la révolution, commentant ses péripéties, débusquant les moments de panique de l’ex-dictateur, ses tergiversations, les ratés de sa communication, n’omettant pas de croquer aussi les Tunisiens, qui réapprennent le courage, la dignité, la contestation…  
«Il livre depuis le début du mouvement de contestation ses humeurs par des dessins qu’il accompagne généralement d’un court texte. De la violence de la répression aux promesses tardives de Ben Ali, rien n’a échappé à son coup de crayon aguerri», note Laureline Karaboudjan dans un post intitulé ‘‘Egypte, Tunisie: la révolution des dessinateurs’’ sur son blog ‘‘Des bulles carrées’’. Elle ajoute: «Depuis le départ de l’ancien dictateur, il continue à croquer l’actualité de son pays, avec ses multiples remaniement ministériels, ses doutes et ses espoirs. Des dessins parfois drôles, souvent amers, toujours percutants.»

De l’indignation à la caricature
Comment -Z- est-il venu à la caricature politique? Réponse dans une interview au journal ‘‘Le Monde’’: «Je suis parti d’une motivation vraiment citoyenne. Beaucoup de choses dans mon pays ne fonctionnaient pas. J’étais indigné par tout ce qui se passait. Sachant dessiner, je me suis dis: j’irai. Je me lance et je garde l’anonymat pour ne pas me faire rattraper par le régime». Il ajoute: «Il y avait un but d’abord – on va dire – citoyen, même pas politique. Je ne fais pas de la politique politicienne à travers mon blog. Je conteste, je proteste, je critique rien que pour critiquer.»
Interrogée sur la révolution, -Z- répond: «L’idée de révolution me trottait dans la tête depuis longtemps. Je voyais que cela prenait une ampleur assez inédite. Ça se propageait de ville en ville. Je me suis dit: ce n’est pas une révolte. Il y avait d’abord les avocats, puis il y a eu les artistes. Chacun essayait de prendre sa mèche pour faire exploser la bombe de la révolution. Pour moi c’était clair qu’un dictateur tel que Ben Ali, s’il y avait une révolution, il allait fuir. C’est quelqu’un qui était haï par toute une population.»
A propos du dernier discours de Ben Ali, le 12 janvier: «C’était sa chute politique ce discours là. Personne n’était dupe: il était déstabilisé et tout le monde sait que c’était la fin. Il nous a fait la promesse bis de ce qu’il a promis quand il a pris le pouvoir, c’est-à-dire la démocratie, la liberté. Il a fallu qu’il massacre les gens et qu’il fasse patienter les gens 23 ans pour nous ressortir la même promesse.»
Simple et humble, se gardant de surfer sur une révolution à laquelle il a pourtant énormément contribué, mais à sa manière distante de seigneur, -Z- ne se prend pas la tête. Il laisse les plateaux de télévision aux anciens collabos de Ben Ali qui ont retourné la veste, préférant creuser son propre sillon, comme il l’a toujours fait, à part, à l’ombre et en retrait des jeux de rôles et de vanités auquel s’adonnent aujourd’hui ses compatriotes.
«Je n’ai pas la prétention de proposer quoi que ce soit de politique à part défendre la liberté d’expression et de m’inscrire pleinement dans les contre-pouvoirs et la critique en continuant à exercer l’art de la caricature», a-t-il expliqué, il quelques semaines, sur son blog.
Mais cet art, va-t-il continuer à l’exercer en solitaire, et en dilettante, sur son blog, ou va-t-il enfin se résigner à prêter sa plume et son trait à l’un des médias de la place? Auquel cas, nous conseillerons à -z- de faire attention pour ne pas échouer dans l’une des anciennes écuries d’AA (Abdelwaheb Abdallah, l’ancien propagandistes de Ben Ali).

Zohra Abid