Beyram Kilani alias Bendir Man est actuellement en tournée internationale. Kapitalis l’a rencontré quelques jours avant son concert, le 2 avril à l’université Uqam, à Montréal. Entretien réalisé par Sarra Guerchani, correspondante à Montréal
La moitié des recettes du concert, organisé par Avant Scène Production, dans le cadre des Journées de la Tunisie nouvelle, sera versée au Croissant rouge tunisien.
Artiste engagé de 27 ans, originaire d’Ezzahra, dans la banlieue sud de Tunis, Bendir Man a vécu la révolution à 100%. Battu, emprisonné et censuré sous Ben Ali, Il a tenu sa revanche. Ses chansons satiriques et engagées ont donné courage à la population, qui les a jouées en boucle malgré la censure. Il compte aujourd’hui plus de 150 000 fans sur MySpace et près de 100 000 amis sur Facebook. Il parle dans cet entretien exclusif de la révolution, de ses chansons, de la Tunisie de demain, comme il l’a rêve.
Kapitalis: Comment as-tu vécu la révolution ?
Bendir Man: Dans la rue, là où il y avait les manifestations, j’ai participé aux sit-in, aux actions cybernétiques aussi. Mais en tant qu’artiste, j’ai essayé de faire des choses plus concrètes dans le milieu artistique, qui était complètement «pourri» sous le régime de Ben Ali.
J’ai fondé avec quelques artistes tunisiens une association du nom de Lijène El Ahya. En français, cela donnerait un jeu de mot entre «les jeunes vivants» et «les comités de quartiers». Nous allons demander à avoir un ancien local du Rcd pour en faire une résidence d’artiste où nous pourrions enregistrer et produire.
Lorsque nous avons commencé, nous étions six à lancer «la pétition des artistes contre la brutalité policière et pour un Etat démocratique et plus juste». On a également fait le sit-in des artistes, devant le Théâtre national… Ça a été violement réprimé. On a fait tellement de chose, j’en oublie beaucoup.
Et cette transition démocratique, comment la vis-tu?
C’est un bon film «bordélique» que je regarde et dans lequel je joue. On dirait un film, la vie est un miracle. Quand je vois nos avocats faire la circulation, ou des partisans de différentes manifestations marcher ensemble dans le même sens sur l’avenue Habib Bourguiba, ou bien les habitants dans les quartiers faire le contrôle des papiers aux policiers... Moi j’adore, c’est le bazar, mais c’est calme; tout le monde circule normalement, aujourd’hui. Les gens ont repris, pour la plupart, leurs activités. Il n’y a pas vraiment de policier dans la rue. Vous imaginez voir ça dans un autre pays? Ce serait l’anarchie totale. C’est un désordre qui me rend fier.
Ce désordre t’inspire-t-il aussi pour écrire de nouveaux textes?
Oui, c’est sûr, mais je ne le ferais pas maintenant, parce que je ne veux pas que mes chansons deviennent un hymne à la révolution.
Depuis un certain moment, on sent comme une forte montée d’islamisme en Tunisie, ne crains tu pas leur présence sur le long terme, surtout que, dans d’autres pays, ils se sont révélé des ennemis de l’art et des artistes?
Moi, je ne crains rien. Et d’un, je n’ai pas eu peur de Ben Ali, je ne vais pas avoir peur aujourd’hui des islamistes. De deux, il y a un clivage entre les islamistes radicaux, qui veulent imposer la charia, et ces autres extrémistes qui veulent nier toute influence arabo musulmane sur notre culture. Le problème est très simple. Nous sommes un pays musulman qu’on le veuille où pas, notre culture est fortement influencée par l’islam. Regardez, pendant le ramadan, même des athées adoptent le rythme et le rituel du mois du jeûne.
Cela dit, ce n’est pas une raison pour imposer la loi islamiste. L’un de mes oncles est imam et j’ai des oncles et des tantes qui font la prière, comme j’en ai d’autres qui boivent de l’alcool. Ce n’est pas pour autant qu’ils ne se respectent pas.
C’est un faux problème qui nous éloigne des vrais problèmes de notre société: la construction d’une nouvelle Tunisie avec une justice sociale, économique et politique pour remonter la pente.
Il y a quelques mois, tu n’aurais pas pu faire des représentations dans les universités ou sur un plateau de télévision. Aujourd’hui, on a l’impression que les médias s’arrachent ta présence sur les plateaux. Est-ce une consécration pour toi?
Je n’ai accepté qu’une fois d’aller sur un plateau de télévision. C’était au début de la révolution, parce que le peuple avait peur et qu’il fallait lui parler. Je ne veux pas devenir une star. Mon but est de pouvoir faire passer des messages.
Ben Ali est parti, le processus démocratique est en marche, si tout irait bien en Tunisie, arrêterais-tu d’écrire des chansons?
Si, par miracle, tous les problèmes seraient réglés en Tunisie, je me donnerais le temps d’écrire de la vraie chanson poétique. Je me consacrerais entièrement à cela.
Alors comment vois-tu l’avenir de ton pays?
Je le vis l’avenir de mon pays. Je ne le vois pas… Lorsqu’on est dedans, on n’a pas le temps de prendre du recul avec ce qui se passe… Je laisse ça au gens qui n’ont rien à faire! (rire)
Il est important de faire des choses concrètes, surtout aujourd’hui, pour aider le pays à s’en sortir. Je le fais dans mon domaine. Chacun son truc.
Quelques minutes avant notre rencontre, je suis tombé sur une vidéo de toi sur Facebook où tu invitais Belhassen Trabesli, présent au Canada depuis le mois de janvier, à ton concert. Pourquoi cette initiative?
Le pauvre, il est seul (sur un ton ironique). Il ne doit pas être content de cette révolution. Il doit même déprimer. Je me suis dit: puisque les Tunisiens sont solidaires entre eux, je vais aller l’inviter à mon concert.
Donc, je me suis rendu au bureau de l’avocat de Belhassen et j’ai remis à sa secrétaire deux billets pour le concert de ce samedi: pour sa femme et pour lui.