Le cinéma tunisien sera présent, du 12 au 23 mai, au Marché du film du 63e Festival de Cannes, avec cinq nouveaux longs-métrages : ‘‘Les secrets’’ de Raja Amari, ‘‘Le dernier décembre’’ de Moez Kammoun, ‘‘Blessures des palmiers’’ de Abdellatif Ben Ammar, ‘‘Vivre ici’’ de Mohamed Zran et ‘‘Vive le cinéma’’ de Mokhtar Lajimi. Derrière cette présence «massive» se cache une réalité beaucoup moins reluisante. Explication… Ridha Kéfi
Certes, on doit se féliciter d’une présence aussi «massive» (tout est relatif) et, surtout, de la (toute relative) prolixité de nos cinéastes, qui, malgré les difficultés de financement et de commercialisation, parviennent, bon an mal an, à réaliser entre 3 et 5 longs-métrages.
On ne doit cependant pas perdre de vue le fait que les 5 films tunisiens présents à Cannes auront d’autant plus mal à être visibles (pour avoir la chance d’être vus) qu’ils seront proposés dans une section, le Marché du film, qui s’attend à accueillir plus de 4000 sociétés venues de 100 pays représentés par 10000 participants. Autant chercher une aiguille dans une meule de foin…
L’initiative de la Chambre syndicale nationale des producteurs de films, soutenue par le ministère de la Culture et de la Sauvegarde du patrimoine, de mettre en place un pavillon, pompeusement baptisé «L’année du cinéma en Tunisie», pour présenter les films tunisiens et promouvoir le pays en tant que destination de tournage de films étrangers – ce qu’il fut d’ailleurs dans les années 1980-1990 – est louable en soi.
Cette initiative ne doit pas cependant nous faire perdre de vue une vérité que tous les cinéastes et cinéphiles tunisiens connaissent mais passent souvent sous silence: le cinéma tunisien n’impressionne plus vraiment les producteurs, les distributeurs et les directeurs des grands festivals internationaux.
La preuve : aucun des cinq films produits cette année n’a été retenu dans la sélection officielle du Festival de Cannes, qui est au cinéma ce que le Mondial est au football. Pis : aucun de ces films n’a été jugé suffisamment intéressant pour figurer dans les sections parallèles : Un certain regard, La Semaine de la critique, La Quinzaine des réalisateurs...
De là à continuer à nous rebattre les oreilles à propos des soi-disant succès du cinéma tunisien sur la scène internationale, il y a un pas que nos cinéastes (et critiques de cinéma complaisants) devraient se garder de faire. La vérité, la seule indéniable, est la suivante : la délégation tunisienne à Cannes est, chaque année, l’une des plus importantes… en nombre. Et des plus maigres en résultats.
Jugeons-en : à ce jour, aucun film tunisien n’a reçu la Palme d’Or du Festival Cannes. Et pour cause : à ce jour, un seul film tunisien a eu l’honneur de la Sélection officielle, la seule ouvrant la porte à la récompense suprême. Il s’agit d’‘‘Une si simple histoire’’ de Abdellatif Ben Ammar, qui date de – tenez-vous bien ! –… 1970.
Quand on sait que des cinéastes d’Algérie (Mohammed Lakhdar-Hamina, Palme d’Or en 1975 pour ‘‘Chronique des années de braise’’), d’Iran (Abbas Kiarostami, Palme d’Or pour ‘‘Le Goût de la cerise’’, en 1997) ou d’Egypte (Youssef Chahine, Prix du Cinquantième anniversaire de Cannes pour l’ensemble de son œuvre en 1997), ont eu l’honneur de la récompense suprême, on peut estimer que celle-ci n’est pas vraiment inaccessible aux cinéastes du Sud.
Pourquoi donc aucun cinéaste tunisien n’a pu, à ce jour, inscrire son nom en lettres d’or sur les tablettes du plus grand festival cinématographique au monde. Manque de pot ? Jurys incompétents ? «Ils ne nous aiment pas» ? Non, bien sûr. Ce qu’il faut déplorer le plus c’est le manque d’imagination. De créativité. Et d’inventivité artistique.
Cela dit, la tutelle devra continuer à assurer le financement des films tunisiens. Car, à défaut de pouvoir garantir une future Palme d’Or à la Tunisie, cette aide à la production permettra à nos cinéastes de «mettre du beurre dans les épinards». Il faut bien manger en attendant la Palme…