Comment peut-on, trois mois seulement après la mort tragique de Mohamed Bouazizi, dont la mort a servi de détonateur à l’explosion populaire dans le monde arabe, réagir avec une quasi-violence à l’évocation de son nom?
Par Sélim Tlili*


Il me semble que pas mal de choses ne tournent pas rond en ce moment. L’une d’elles me tient particulièrement à cœur, c’est la solidarité.

De déconvenue en déconvenue
Je croyais que l’on formait un seul peuple. Or je vais de déconvenue en déconvenue et j’en appelle à la fois à votre réflexion et à votre cœur.
Comment peut-on, trois mois seulement après la mort tragique de Mohamed Bouazizi, qui a servi de détonateur à l’explosion populaire dans le monde arabe, réagir avec une quasi-violence à l’évocation de son nom? Quelles explications sont données par ceux qui déclarent ne plus pouvoir le supporter?
Examinons-les  plutôt :
- «Il y en a marre, c’est à cause de lui que nous sommes maintenant dans le pétrin.»
Tiens, cela aurait tendance à signifier qu’avant, sous la dictature, ces personnes excédées n’étaient pas dans le pétrin. Autrement dit, le système tel qu’il était leur convenait fort bien. No comment, et tant-pis pour tous les Bouazizi du pays.
- «Il n’a pas fait ça pour les autres mais pour lui.»  
Là, les bras m’en tombent. Et si je n’avais entendu cette réflexion qu’une fois… mais non! des dizaines et des dizaines de fois!
Comment peut-on proférer sans rougir une telle absurdité? Tiens, se serait dit Bouazizi, je vais me faire flamber, ainsi j’en retirerai un grand profit par la suite. En fait de profit, d’atroces souffrances et la mort au bout du tunnel. En effet, il a fait ça POUR LUI.
S’est-on interrogé sur la dose de désespoir que suppose un tel suicide, surtout en contexte musulman? Que les croyants prient pour lui, au lieu de l’insulter.
- «Sa famille en a tiré profit, elle vit maintenant à La Marsa dans une villa avec piscine et se déplace exclusivement en taxi. Elle a pris la place des Trabelsi.»
Pauvres Tunisiens qui pensent avec leur haine.
La famille de Mohamed Bouazizi vit dans un quartier populaire de La Marsa et se déplace en bus jaune, comme les plus humbles des citoyens de ce pays. L’une des sœurs de Mohamed va d’ailleurs au lycée et travaille en même temps. Vie de rêve, en effet !
Il me semble urgent d’extirper des cœurs ces basses jalousies et cette remarquable absence de mansuétude et de compassion. Ça, c’était la Tunisie d’avant.

La quête de la dignité
Mohamed Bouazizi est rentré dans l’Histoire d’un peuple en quête de sa dignité. Voilà ce qu’il faut retenir de lui et de tous les martyrs qui ont laissé leur vie lors de ce soulèvement populaire. A ce titre, que certains Tunisiens le veuillent ou non, il est représentatif d’une situation, d’une époque, du délaissement d’une région, de l’absence de perspectives de la jeunesse qui n’est pas dorée, celle-là, mais qui est lestée de plomb.
Et que l’on soit d’un côté ou de l’autre, un peuple n’a pas le droit de condamner sa jeunesse.
Mohamed Bouazizi est une icône pour toutes les jeunesses du monde. Son geste, qui n’est certes pas à reproduire, a ouvert la voie à l’audace de la réalisation de tous les possibles. C’est pour cela que nos grands pères actuellement au pouvoir – avec tout le respect dû à leur âge vénérable – doivent impérativement penser à cette jeunesse du haut de leur expérience bourguibo-benaliste et ne pas la décevoir.
Parce que déçue, elle se fait flamber ou va s’échouer à Lampedusa. Quel avenir! Comment le tolérer plus longtemps? Oubliée ici, humiliée là-bas, est-ce ce à quoi on la condamne?
Mohamed Bouazizi donnera son nom à une Place de Paris.
Le monde entier le retient déjà car c’est le sens de l’Histoire.
Alors de grâce, concitoyens tunisiens, réveillez-vous, accueillez-le vous aussi dans votre cœur, montrez votre générosité et votre solidarité avec les régions oubliées.

La société civile peut et doit agir
La société civile ne doit pas tout attendre du gouvernement mais prendre elle aussi des initiatives qu’elle doit pourvoir mener à leur terme à force d’implication et de persévérance.
A travers des associations comme l’Association citoyenne tunisienne (Act),  par exemple (dont le site est en construction).
Nous pouvons le faire. Continuons à montrer au monde que nous prenons notre destin en mains, que Mohamed Bouazizi et les martyrs ne sont pas morts pour eux, car ils auraient sûrement préféré vivre, mais qu’ils ne sont pas morts pour rien non plus: aidons les régions laissées pour compte à sortir de leur isolement économique et culturel.
Mobilisons-nous et agissons. Faisons ce qui est à notre portée. A notre portée de clic en l’occurrence: Je vous donne rendez-vous sur Art Of Tunisia.
Amis étrangers, vous êtes aussi les bienvenus, je vous sais militants, ouverts et généreux.
Je sais que, comme nous, vous préférez voir la jeunesse tunisienne travailler dans son pays plutôt qu’envahir des squares en France où aucun avenir ne l’attend.
Un grand merci à tous ceux qui se sont déjà engagés à nos côtés.

Vidéo de présentation Art Of Tunisia par Sélim Tlili.

* Artiste du détournement, comme il aime s’appeler, Sélim Tlili est l’animateur du site Art For Tunisia et le promoteur d’Opération Tableau de Bouazizi, une action artistique, citoyenne et bénévole.