Depuis février, un collectif d’artistes s’est installé à Sejnane (nord-ouest), pour mettre en valeur un savoir-faire ancestral et explorer collectivement de nouvelles formes de création artistique.
Par Emmanuelle Houerbi


Ce projet qui place l’humain au premier plan, veut bâtir une «société rêvée» plus équitable, où chacun peut participer et prendre en main son destin.
Dans la région de Sejnane, des centaines de femmes façonnent depuis des siècles d’élégantes et énigmatiques poupées en argile. Profondément isolées et se battant pour leur survie au quotidien, elles cèdent parfois pour quelques dinars des créations que l’on peut ensuite trouver à 200 euros de l’autre côté de la Méditerranée. Une situation intolérable pour les initiateurs du projet Laaroussa, les danseurs et chorégraphes Selma et Sofiane Ouissi, et pour tous les hommes et femmes qui ont participé avec passion à cette initiative unique.

Une démarche artistique citoyenne
Laaroussa, c’est tout d’abord un projet collectif imaginé par le couple Ouissi et porté par des collectifs d’artistes tunisiens et français comme «Luna» et «Dream City», des associations culturelles comme «l’Art Rue» ou «Muzaq», ou encore des collectifs de femmes françaises ou migrantes, avec le soutien de nombreux partenaires.
L’art n’est plus seulement dans les salles de spectacles, dans les musées ou même dans les rues des grandes villes. Il est aussi dans les régions, dans les campagnes, au bout des doigts experts des artisanes de Sejnane.
Laaroussa, qui tisse des liens entre des savoir-faire artisanaux et l’art contemporain, est une initiative artistique alternative qui s’oppose résolument au système capitaliste individualiste et à un monde globalisé. Cette nouvelle forme d’art prend tout son sens dans la Tunisie de l’après 14 janvier où le pays doit imaginer de nouvelles façons de vivre ensemble et bâtir une société plus juste et plus égalitaire.

Des semaines de création, de partage et de convivialité
Depuis février, des dizaines de femmes, pour la plupart mères de famille et en charge de leur foyer, se sont réunies pour mettre en commun leurs savoir-faire, échappant souvent pour la première fois à l’isolement de leurs maisons, et passant du même coup du statut de concurrentes à celui d’artistes partageant le même objectif.


Potières de Laaroussa à Sejnane.

Placées dans les conditions optimales pour créer à plein temps, dégagées de leurs tâches quotidiennes et dûment rémunérées, chacune a participé aux ateliers selon ses compétences et ses envies: modelage de la terre, préparation des repas, garde des enfants ou animation d’ateliers de musique, de cours de danse, de gymnastique, de français…
Les photos disponibles sur le net présentent des groupes de femmes assises dans l’herbe, des enfants mettant la main à la pâte, six mains burinées polissant ensemble la même poupée: des moments forts et émouvants qui donnent une idée de l’élan collectif et de la joie partagée pendant toutes ces journées d’intense travail artistique.
Ce travail sera bientôt couronné par des expositions des œuvres, à Sejnane très bientôt, puis dans d’autres régions tunisiennes où d’autres projets similaires pourraient voir le jour, ou encore lors du prochain Dream City, au palais de Tokyo à Paris et, espérons-le, dans de nombreux autreslieux d’art contemporain.

Prochaine étape: la quête de l’autonomie
Après cinq mois de recherche artistique, le collectif veut créer d’ici 2013 une coopérative artisanale de poterie autogérée à Sejnane, qui participera au développement économique de la région sans dénaturer la nature équitable et égalitaire du projet.
Pour mettre en place un système rentable et autonome, Laaroussa a besoin aujourd’hui de nouveaux partenaires, de relais financiers et techniques et de compétences managériales.
Les femmes de Sejnane, qui souhaitent témoigner personnellement du travail accompli et affirmer haut et fort le potentiel artistique et économique de leurs œuvres, accueilleront le 18 juin toutes les personnes susceptibles de soutenir le projet. Une après-midi festive suivie d’un repas au cours de laquelle les hôtes seront invités à participer aux ateliers, où les œuvres seront exposées, et où le vécu des participantes et l’avenir du projet seront discutés.
Ayant déjà noué de nombreux contacts avec de potentiels partenaires, les initiateurs du projet ont insisté lors de la conférence de presse sur la responsabilité du collectif et sur son devoir de mener à bien ce projet. Pour ne pas laisser tomber ces hommes, ces femmes et cette région. Et pour que l’on puisse parler un jour, peut-être, du printemps de Sejnane.

Pour plus d’infos: DreamCity.