Dans cet article, écrit sous forme de nouvelle, Aymen Gharbi raconte ses mésaventures de lecteur occasionnel dans les locaux du nouveau et imposant bâtiment de la Bibliothèque nationale de Tunisie (BNT). Il n’y a pas de quoi être fier… du progrès.
A 14h 30, il était devant le bâtiment aux murs roses. Il se mit à réfléchir sur la façon avec laquelle il allait pénétrer ce temple grandiose et triomphant: deux solutions s’offraient à lui. Soit il devait monter l’escalier colossal donnant sur le boulevard du 9-Avril 1938, composé de pas moins de 51 marches, soit il empruntait la petite porte de la rue du Kairouani, perpendiculaire au boulevard et beaucoup moins éprouvante que l’escalier, malgré le fait que la porte se trouve en amont.
Ce n’est pas la bonne porte
Rue du Kairouani : il y avait là une porte glissante métallique hermétiquement fermée, derrière laquelle trônait un gardien dans sa cabine :
- Il est 14h31. C’est fermé, fit remarquer le gardien d’une voix lapidaire.
- Comment fermé ? La BNT est pourtant ouverte jusqu’à 19h30 et il n’est que 14h31.
- Ce n’est pas la porte de la BNT. C’est celle des Archives nationales, institution différente de la BNT, sise au 122, boulevard du 9-Avril 1938 depuis 1999, rectifia le gardien à cheval sur la précision.
- Fort bien, alors ouvrez-moi cette porte par laquelle il me serait éminemment plus confortable d’entrer que par l’autre, donnant sur le boulevard.
- Non. C’est le règlement et je suis là pour le faire respecter. Ici c’est la porte des Archives nationales. Elle peut effectivement vous mener à la BNT mais ce n’est pas la porte de la BNT. Celle-ci ferme à 14h précise. Il est 14h33. Si…
- Je comprends mais par un temps pareil je...
- Laissez-moi terminer. Si vous voulez aller à la BNT, ce n’est pas la bonne porte.
Et le vigile avait terminé.
Il s’éloigna sans mot dire. Dans l’escalier, il s’arrêta à la 20e marche car il n’en pouvait plus sous ce soleil de plomb. Il s’assit dans un petit recoin d’ombre afin de reprendre son souffle. Lorsque sa vue s’éclaircit, il regarda autour de lui pour demander à boire alors il remarqua qu’à sa gauche, il y avait un homme chauve, assis à deux mètres de lui, la tête entre les genoux, lové en une position fœtale. Il se passa un moment avant que l’homme ne relève la tête pour lui chuchoter sur un ton d’extrême importance quelques mots confus signifiant qu’il connaissait un chemin plus court.
Ils prirent un petit sentier, se retrouvèrent encore une fois dans la rue du Kairouani, firent le tour d’un pâté de maison et finirent devant une grande porte sur laquelle une enseigne indiquait en lettres étincelantes: Bibliothèque Nationale.
- Nous avons réussi!, se félicitèrent-ils en s’embrassant ? C’était la porte de derrière.
Mais d’autres pièges architecturaux apparurent aussitôt: des escaliers encore. Ils devaient descendre 28 marches et en monter 38 autres.
Des machines défectueuses
De l’extérieur, l’on ne pouvait que s’exclamer «Quel luxueux bâtiment !» et quant on passait à l’intérieur également, nulle déception : un vaste espace élégant lui sembla valoir la peine de tant de souffrance, un peu comme le paradis après une vie pleine de labeur. De grandes vitres offraient une vue panoramique sur le boulevard du 9-Avril 1938 et tout Tunis, une grande quantité de livres en accès libre, 22 ordinateurs s’offraient au lecteur pour faire ses recherches dans le large catalogue de la bibliothèque. Il entreprit de chercher en ligne les livres qu’il était venu consulter. Après une longue pérégrination entre différentes machines défectueuses, il ne put faire aucune recherche. Il interrogea à ce sujet une lectrice qui tapotait distraitement sur son clavier. Elle lui dit qu’elle essayait, depuis 11h, de trouver comment fonctionnait la recherche mais en vain. Néanmoins une amie lui avait parlé d’un poste isolé qui fonctionnait quelque part. Elle avait raison. La recherche était fonctionnelle sur ce poste. Il trouva les 5 livres dont il avait besoin et les commanda à une fonctionnaire qui revint 15 minutes plus tard pour lui annoncer que la commande a été satisfaite mais... qu’on ne lui a trouvé que 2 livres sur 5.
- Pourquoi?
- Il y en a un qui se trouve dans les anciens locaux de la bibliothèque à El Attarine. Ce sont des livres qu’on n’a pas eu le temps de transporter ici.
- Mais les nouveaux locaux sont ouverts depuis 4 ans.
- Et alors, vous croyez que c’est facile de déménager les 1 million de livres, les 40.000 manuscrits et les 16.000 périodiques de la BNT ?
Kafkaïen non ?
Aymen Gharbi