Romancier, dramaturge, et accessoirement enseignant à l’université, Youssef Bahri promène sa boulimie artistique à travers les théâtres, galeries et salons littéraires. Il est (presque) partout, se dédouble, se multiplie, se répand, se perd, se cherche, avant de se retrouver, enfin, au tournant d’un roman en arabe, «Kif-Kif», paru l’année dernière chez Sud Editions dans la collection ‘‘Ôuyoun Al-Mouâssara’’ dirigée par Taoufik Baccar, et d’une pièce de théâtre, ‘‘Valises’’, sur les affres de la création théâtrale et les douleurs du comédien, nouvelle production du Théâtre national tunisien (TNT). Cette pièce, dont il a écrit la dramaturgie, est sans conteste le succès de la saison théâtrale. Un auteur est né…
L’intérêt de Youssef Bahri pour la création artistique remonte à sa tendre enfance, dans les îles de Kerkennah. Son théâtre fut d’abord le ciel, la mer et la terre. Les barques des pêcheurs. Et leurs douleurs aussi. Ce sera ensuite la littérature qu’il découvre dans les livres, puis en suivant des études universitaires couronnées par plusieurs diplômes. Agrégé d’arabe et de droits, il sera aussi diplômé en sciences cinématographiques. Excusez du peu…
Eclectique, curieux de tout, Youssef Bahri redécouvre le cinéma, le vrai, au sein du Ciné club de Sousse, dont il assure aujourd’hui la direction. «Je crois beaucoup au travail des associations. L’ATPCC [Association tunisienne pour la promotion de la critique cinématographique], par exemple, fait un énorme travail. Mais il faut beaucoup de motivation. Les gens finissent souvent par baisser les bras. Plusieurs associations sont en train de disparaître. Quel dommage !», dit-il.
Le metteur en scène Ridha Drira, qui découvre les qualités d’écriture de Youssef Bahri, lui donne sa chance en le prenant comme dramaturge-conseiller au sein de la Troupe de Théâtre Vivant qu’il dirige dans la Perle du Sahel. Il ne sera pas déçu.
Le jeune écrivain s’intéresse à tout. Ne boude jamais son plaisir. Suit ses penchants. Partout, et nulle part. On lui reproche son éparpillement. Il sourit. «Ce cumul a un impact sur mes travaux. Je cherche ma matière partout. Je trouve rapidement le verbe qu’il faut au moment qu’il faut. Je compose avec un cocktail de mots que je m’empresse de coucher sur le papier. Une fois l’écrit a pris forme, je le transforme en lumières, sons et musiques. Tout devient scénographie et images sur un écran». Cela a un nom : le mélange des genres, mais dans un sens positif, celui d’interférence ou de cogénération des formes.
‘‘Valises’’ lui a demandé deux ans de travail. Avec une équipe d’artistes de la scène chapeautée par le comédien et metteur en scène Jaâfar Guesmi. La critique a aimé. Le public a adoré. Le résultat a dépassé toutes les espérances. «Les amoureux du 4e Art ont applaudi la pièce. Quel plaisir ! Quel bonheur aussi de la voir jouée à guichets fermés et les billets atteindre 100 dinars au marché noir. C’est fou ! D’ailleurs, j’en garde précieusement une, collée à la table de mon salon. C’est un beau souvenir…», confesse le dramaturge. Qui se reprend, comme pour se réveiller, comme il dit, du «cauchemar de la réussite» : «Attention, je ne suis pas encore une star. J’ai écrit quelque chose qui a été bien reçue. J’ai tenu un discours qui, par chance, a trouvé un écho favorable auprès du public».
Pour le reste, l’avenir dira si Youssef Bahri pourra encore briller comme dramaturge. Il faut dire qu’il a une autre corde à son arc : la littérature. Il lit beaucoup. Croque les romans dans les deux langues, les livres d’histoire, de sociologie, de sciences, et ne rate aucun nouveau film. Mais il voit tout avec un regard nouveau, celui d’un auteur qui ne doute plus de ses moyens.
En attendant, son épouse, Aïda, à qui il voue un amour infini, est là pour lui rappeler qu’il est aussi, et d’abord, un mari heureux, qui aime rentrer, chaque soir, chez lui à Sousse. Aïda, dit-il, le séduit toujours, et pas seulement par la saveur de ses plats. «Tout ce que je fais dans l’art et la culture, c’est une façon pour moi de lui prouver que je suis un homme digne. J’aime faire tout ce qui lui plaît et la rend heureuse. A mon réveil, chaque jour, j’essaie de la séduire comme au jour de notre première rencontre. Je ne cesse pas de la ‘‘draguer’’ en somme et de faire vivre au quotidien notre amour. Je lui dédie mon succès et j’aime la voir comblée et fière de moi», raconte tendrement Youssef Bahri, les yeux brillants et… embués. Le fou d’Aïda.
Rania B.