Qu’on se le dise, les richesses architecturales de la Tunisie ne se limitent pas aux vestiges antiques et aux anciennes médinas arabes. Les 19e et 20e siècles nous ont légué des trésors de l’Art nouveau, de l’Art-Déco, de l’architecture néo-mauresque... Par Emmanuelle Houerbi
Pour ne pas voir cet héritage disparaître, une nouvelle association vient d’être créée. A l’origine de «Patrimoine 19/20», un groupe d’architectes, d’urbanistes, d’historiens et autres amoureux de la Tunisie, bien décidés à promouvoir leur patrimoine et à sensibiliser la population aux enjeux culturels, historiques et économiques du projet.
Un florilège de styles et de constructions atypiques
Le patrimoine architectural récent, ce sont des bâtiments prestigieux conçus par des architectes de renom (édifices publics, hôtels, théâtres…), mais aussi des édifices plus discrets, des lieux de vie au quotidien qui façonnent le paysage et la spécificité des villes tunisiennes. Des ouvrages d’art (les ponts et les viaducs), des villages ouvriers, des écoles municipales, des fermes, des granges... De simples balustrades en fer forgé peuvent être de véritables trésors.
Hôtel Majestic, avenue de Paris, Tunis, restauré par des privés.
Ce sont les grandes villes côtières qui rassemblent la partie la plus importante du patrimoine architectural récent, mais des constructions exceptionnelles existent aussi à l’intérieur du pays, dans les bassins miniers ou les régions agricoles. Chacune d’entre elles doit être sauvegardée.
Faire connaître et aimer le patrimoine
Tawfik Kastalli, vice-président de Patrimoine 19/20, en est convaincu : «Pour que les Tunisiens se mobilisent en faveur de la préservation de leur patrimoine, il faut d’abord qu’ils le connaissent, qu’ils se l’approprient, et en un mot, qu’ils l’aiment. D’où le mot d’ordre de l’association : sensibiliser les citoyens à cet héritage architectural d’une grande richesse, pour qu’ils revendiquent collectivement leur droit à sa sauvegarde et à sa mise en valeur.»
Pour atteindre cet objectif, l’association commencera par élaborer un inventaire des petits et grands trésors architecturaux de l’histoire récente, puis les fera connaître au plus grand nombre. Un site web, un centre de documentation, des guides régionaux destinés au grand public et aux décideurs, la promotion de visites et circuits touristiques dédiés à cette époque, des cycles de conférences, des journées de formation à l’attention des élus locaux ou l’organisation d’expositions itinérantes sont autant de moyens pour parvenir à leurs fins.
Palais Skanes à Monastir abandonné.
Enfin, les étudiants étant la clé de l’avenir, l’association plaide pour la création d’une filière universitaire spécialisée dans l’architecture des deux derniers siècles.
Aux armes, citoyens !
Si l’association veut être un pôle d’expertise, elle veut aussi être un pôle d’action, car l’urgence est là. Chaque jour, des trésors du passé récent disparaissent, pour cause d’ignorance, de manque de moyens ou de l’avidité des promoteurs immobiliers. Pour quelques bâtiments sauvés et réhabilités (l’hôtel Majestic, le théâtre municipal ou le marché central à Tunis), combien sont détruits dans l’indifférence générale (la centrale électrique de la Goulette en 2010, l’immeuble Métropole à Tunis) ou tombent en ruine et sombrent dans l’oubli (le palais présidentiel de Skanes à Monastir, des maisons de maître un peu partout en Tunisie ou la villa du Zodiac à Grombalia) ? Pour éviter le pire, l’association appelle à une mobilisation générale, ou à des interventions musclées ponctuelles comme cela a été le cas à la Mâalga il y a quelques jours. Et puisque le ministère de la Culture et les pouvoirs publics sont responsables de ce patrimoine, il faut les obliger à agir et peser auprès d’eux pour obtenir des subventions, une législation plus stricte et la fin de l’impunité pour ceux qui bafouent le droit. Une façon parmi d’autres pour tous les Tunisiens de revendiquer leurs droits et d’assumer ensemble leur devoir de citoyens.
Centrale électrique de la Goulette, fermée en 1983 et démolie en 2010.