Gerbe de lumières, album de photos souvenirs dédié à la révolution tunisienne, ballet de sons, de danses, de chants et la musique à fond la caisse. Le tout coupé d’une note d’humour à la Lotfi Abdelli.
Par Zohra Abid
Vendredi dernier, à la Coupole d’El Menzah, à Tunis, il a fallu attendre jusqu’à près de 23 heures pour voir le Sénégalais Youssou N’dour, principale vedette de ‘‘L’Afrique fête la démocratie’’, concert évènement offert à la jeunesse tunisienne par la fondation Mo Ibrahim. Un public conquis qui s’est enflammé des heures durant au rythme de plusieurs artistes africains... à plaisir.
Bendirman
Ambiance très pimentée
Destituer un dictateur après 23 ans de règne familial pour tenter d’accéder à la liberté et à la démocratie mérite une fête à la hauteur de l’évènement. Il a fallu donc attendre 10 mois après la révolution tunisienne pour que l’homme d’affaires soudanais Mo Ibrahim l’organise à ses frais.
«Vous êtes le premier pays africain à déboulonner un dictateur. Je vois que vous n’avez pas eu le temps pour fêter le printemps arabo-africain. La démocratie, la liberté, ça se fête, n’est-ce pas ! Allez, nous allons faire la fête le 11 novembre», avait annoncé Mo Ibrahim lors de sa visite en Tunisie, en juillet dernier.
Keziah Jones
Chose promise, chose due et voilà la Fondation Mo Ibrahim qui a mis le paquet et orchestré une fête de pur son africain, au bonheur des jeunes de Tunisie. On aurait bien aimé que cet événement soit imaginé et organisé par nos artistes ou hommes d’affaires milliardaires. Mais dommage, personne n’y a pensé. Merci donc M. Ibrahim.
Côté public, c’est comme d’habitude. Les uns sont venus en petites bandes. D’autres accompagnés de leurs aînés : avec papa, maman ou avec papy et mamie. Plusieurs Africains subsahariens résidant en Tunisie étaient aussi de la fête. Le concert, dont les recettes ont été versées dans les caisses du Croissant rouge tunisien (Crt), a accueilli des spectateurs âgés de 7 à 70 ans et de toutes les couches de la société. Et c’est tant mieux ainsi.
Lotfi Abdelli et Angélique Kidjo
Hip hop, blues, pop music, funky, stambali...
A même pas 2 mètres de la scène, le public était dans un état second. Entre lui et les artistes, une rare symbiose. On applaudissait, dansait et chantait à la folie. En arrière fond de la scène, le long de la soirée, des images de la révolution tournant en boucle sur écran géant. Il s’agit des grands moments de l’histoire tunisienne à la fois tristes et joyeux vécus pendant des mois très perturbés. Il s’agit aussi des images qui rappellent le prix qu’il a fallu payer pour la liberté et la démocratie, qui a commencé à peine à éclore.
Du Pop Corn Stambali en passant par la voix douce de Badiâ Bouhrizi, de la satire de Bendirman et de l’Armada Group. Bien dans sa peau chocolat, la succulente chanteuse du Bénin, Angélique Kidjo, était en forme ce soir-là. «L’Afrique a toujours donné au monde. Il est grand temps qu’elle offre ses richesses à elle-même. Nous savons que le changement se fait dans la douleur. Vous venez de commencer le travail, tenez bon pour que les autres peuples de l’Afrique vous suivent et se libèrent. Avec toutes ses richesses, l’Afrique ne peut que réussir», a lancé la Béninoise à son public avant d’enchaîner et chanter une Afrique fraîche, épanouie et pétillante.
Lotfi El Ebdelli qui a animé la soirée, a fait lui aussi son show. Son ‘‘Made in Tunisia Halal post-dictature’’ était tout à fait différent de celui d’avant le 14-Janvier. Avec les élections et les changements de la société, il a eu de la matière et il a creusé à volonté dans les travers de la société tunisienne.
Résultat, pour un spectacle aussi pétillant, un tonnerre d’applaudissements. Que d’éclats de rires... Sur une population qui parle de l’identité, de la laïcité, de l’islam... C’est aussi le passage de la frustration à l’éclatement démesuré.
Bendirman raille Imed Trabelsi, «le héros de la révolution»
Bendir Man était sur le même registre que celui de Lotfi Abdelli, mais en musique, en délire salé, poivré. Pour dérider encore l’assistance, il a offert au public un ‘‘Free’’, hommage tout en satire pour le héros de la révolution Imed Trabelsi, le neveu mafieux de Ben Ali, avant de passer à son ‘‘Système’’ qui a mis en exergue les moments noirs sous l’ancien régime. Et de ne pas oublier de rendre hommage aux hommes du bassin minier de Gafsa qui, en 2008, ont payé le prix fort de la liberté. Et pour égayer l’atmosphère douce-amère, il a terminé avec ‘‘Endi Dbayeb’’ et ‘‘Enhebbek’’.
Keziah Johnes du Nigeria, paré en couleurs africaines, a fait son blues funk à sa manière. L’homme, turbulent sur scène, a laissé son public sur sa faim.
Un petit quart d’heure d’enfer et il se casse... La foule l’a clamé... Et réclamé. En vain. Pour la consoler, il n’y a pas mieux que Youssou N’dour, une vraie bête de scène qui l’a vite relayé. Endiablant davantage son public tunisien qu’il connaît bien. Après les félicitations, le tour aux rythmes forts du Sénégal et c’est la clôture, en trombes de sons et de lumières, d’un concert en l’honneur d’une Afrique autonome, soudée et tournée vers son avenir. Un concert qui restera sans doute dans la mémoire de la Tunisie post-révolution. Merci à Mo Ibrahim, aux artistes et à tous ceux qui ont mis la main à la pâte pour le faire réussir.