La production de court-métrages monte. Avec les jeunes cinéastes, une brise d’innovation souffle sur un cinéma tunisien stigmatisé par le grand public. Cloîtrés dans des circuits de diffusion limités, ils n’ont pas accès aux chaînes tv.

Par Thameur Mekki


«Vu les réalités de la distribution et de l’exploitation des films en Tunisie, ces œuvres courtes n’avaient pas d’espaces pour être visibles, surtout que les chaînes de télévision semblent les ignorer. Ces films restent méconnus, ou pire, inconnus, d’un public cinématographique qui s’est habitué à être évènementiel», avise l'Association tunisienne pour la promotion de la critique cinématographique (Atpcc). Un constat relevé à l’occasion de la septième édition de ‘‘Tunis Tout Court’’, événement tenu vendredi dernier à la Maison de culture maghrébine Ibn Khaldoun, au centre-ville de Tunis.


Ibrahim Letaief

Les chaînes tv, «un débouché» mais…

Propulsée par l’accessibilité de l’outil technique, la production des court-métrages monte en flèche. Entre films indépendants, d’écoles et autres, près d’une centaine sont produits chaque année dans notre pays. Réalisés en majorité par de jeunes cinéastes, certains de ces films courts incarnent un nouveau souffle, une brise de fraîcheur innovante dans le septième art tunisien.

«Le vrai débouché pour les courts métrages, ce sont les chaînes de télé. Pour les atteindre, il faut développer des stratégies», relève le producteur et réalisateur Ibrahim Letaief de ‘‘Long et Court’’. «Voilà le topo. En Tunisie, les courts-métrages se font avec l’argent du ministère pour passer dans les festivals», déclare, d’une manière toute crue, le producteur Imed Marzouk de ‘‘Propaganda’’. Et il poursuit : «J’ai vendu des court-métrages à des chaînes tv étrangères à l’instar de TV5, Arte, ou d'une télévision suédoise. Il m’est même arrivé, une fois, d’amortir les frais de production de cette manière. Jusqu’aujourd’hui, aucune chaîne tv tunisienne ne s’est intéressée à l’acquisition de courts-métrages. Sauf Nessma qui vient tout juste d’exprimer son intention d’en acheter en me demandant un catalogue».


Imed Marzouk

Sur les traces du modèle français ?

Certains observateurs et professionnels du cinéma en Tunisie revendiquent un modèle similaire à celui adopté en France. Dans l’Hexagone, les chaînes tv sont tenues, par la loi, à s’impliquer dans la production cinématographique nationale. Une manœuvre qui a permis au cinéma français de résister (relativement) à la déferlante des géants de l’industrie hollywoodienne. «L’Etat a donné des autorisations à des chaînes de télévision (Hannibal, Nessma…) sans leur énoncer dans le cahier des charges qu’ils doivent s’impliquer dans la promotion des productions nationales», s’indigne Ibrahim Letaief avant d’ajouter : «La seule chaîne tv qui a vraiment donné de l’importance aux courts-métrages et au cinéma tunisien en général, c’est la défunte Canal+ Horizons.

C’est parce que cela figure dans son cahier des charges». Imed Marzouk lance une piqûre de rappel : «Il y a une loi stipulant que n’importe quel court-métrage subventionné par le ministère de la Culture doit avoir droit à la participation de l’Etablissement de la Télévision Nationale à hauteur de 100.000 dinars. Mais ce n’est fait que lorsqu’on est pistonné».

«Il y a eu quelques tentatives avec les chaînes tv tunisiennes. La Télé Nationale achetait le court-métrage à 15.000 dinars, il y a près de 10 ans. Il y a 3 ans, elle offrait 3.000 dinars pour le film», se souvient Letaief. Mais ce n’est pas devenu une tradition.

«C’est bien dommage. En programmant des courts-métrages, les chaînes tv auraient pu offrir un contenu innovant et surtout plus varié à leurs téléspectateurs», explique-t-il.

En attendant une législation et de nouvelles initiatives, des dizaines de court-métrage dignes de nos petits écrans croupissent dans les poussiéreux tiroirs des cinéastes.