L’ouverture, jeudi, des 4èmes Rencontres du cinéma indépendant américain de Tunis, apporte la preuve que les cinéphiles, et les puristes parmi eux, ne sont pas une espèce en voie de disparition en Tunisie.
Par Samantha Ben-Rehouma
Malgré les caprices de la météo, un agenda culturel foisonnant en matière de manifestations en tout genre (Jazz à Carthage, Festival du cinéma russe, Kalimat…), Hichem Ben Khamsa, cheville ouvrière et maître de cérémonie de ces 4èmes Rencontres du cinéma indépendant américain de Tunis, ‘‘Views of America’’, a pu constater avec plaisir que les amoureux des salles obscures étaient au rendez-vous.
Sont-ils venus pour George Clooney ou pour défendre le cinéma indépendant? Seule la fin de ces rencontres (8 avril) nous le dira.
Le Mondial en HD
Hichem Ben Khamsa, à la salle Le Mondial, au centre-ville de Tunis, devant une salle comble (étudiants en cinéma, cinéphiles, membres du corps diplomatique américain…), et ce juste avant la projection de ‘‘The descendants’’, a rappelé combien ce genre de manifestations est importante en Tunisie car elle ouvre d’autres horizons et pour le spectateur et pour l’exploitant.
Hichem Ben Khamsa
Certes le septième art est touché de plein fouet, constamment, par les mutations techniques et l’évolution des attentes du public. Les films sont de plus en plus sophistiqués, les prix suivent, mais le spectateur et les salles moins: le Tunisien a l’opportunité de visionner les derniers films en Dvd sans se ruiner, pas étonnant qu’il boude les salles de cinéma. Toutefois, félicitons Le Mondial qui a investi et dans la salle et dans le processus de numérisation (le passage au numérique ayant un coût !), car faut-il préciser qu’à l’heure actuelle, le disque dur s’est imposé partout dans le monde comme l’unique support de diffusion d’une œuvre numérique.
Contrairement à la bobine de 35 mm, le disque dur présente l’avantage d’être de petite taille et de pouvoir contenir un ou deux longs métrages. «Il est donc plus économique en termes d’archivage, mais aussi pour ce qui est de son coût et surtout moins cher en fret!», comme l’a souligné M. Ben Khamsa.
Effectivement, la copie d’un film 35 mm coûte entre 900 et 1.200 euros, tandis que celle d’un film au format numérique revient de 150 à 350 euros. Par ailleurs, il faut savoir que, grâce à ce nouveau support, un long métrage peut être diffusé plus de 100 fois sans que le film ne soit abîmé à l’inverse d’un film sur bobine qui voit apparaître, au fil des projections, des tâches sur les pellicules.
What else?
Friant de rôles à contre-emploi, George Clooney (Golden Globe du meilleur acteur) avec ‘‘The Descendants’’ a sûrement dû prendre son pied avec cette histoire qui aurait pu prendre l’eau si elle n’avait pas été dirigée par Alexander Payne (‘‘Monsieur Schmidt’’, ‘‘Sideways’’) bien connu pour laisser dans les esprits les questions fondamentales qu’il soulève. L’antithèse du blockbuster, ‘‘The Descendants’’ n’en est pas moins un de ces moments forts qu’on a peu de chances d’oublier car il s’agit d’un film qui parle aux personnes qui ont vécu un «deuil à retardement». Comme Matt King (George Clooney) qui voit la personne qu’il aime se détériorer d’heure en heure, qui passe de la nonchalance à la sagesse, qui va prendre conscience de sa paternité, qui va démystifier son image de l’amour et s’accomplir, le spectateur comprend que les choses sont irréversibles, c’est incarné, mais on ne veut et on ne peut pas l’accepter.
Le public des cinéhiles répond toujours présent
D’autre part, et c’est là que le titre ‘‘The Descendants’’ prend tout son sens, c’est le destin d’un type qui va passer du statut de petit bourgeois insulaire et détenteur de la signature pour gérer les bien familiaux (immenses) à celui de véritable légataire d’une culture. Et même si le décor de carte postale (Hawaï) et le son des ukulélés nous accompagnent durant tout le film, l’histoire – un brin moralisatrice (tromper son mari c’est mal car le destin vous punit pour cela; la famille c’est bien; il faut pardonner à celui qui vous a offensé; il faut soustraire la terre de ses ancêtres de l’appétit féroce de ces loups de promoteurs immobiliers et j’en passe…) – nous plonge dans une mélancolie et une tristesse comme seules les meilleures comédies dépressives indépendantes américaines savent le faire.
Avec le cinéma on parle de tout
Le cinéma indépendant du continent américain souffre aujourd’hui d’une mauvaise distribution et on assiste à l’essor d’une production indépendante désireuse de rompre avec les normes esthétiques et productives du système hollywoodien.
En créant un événement susceptible de permettre aux cinéphiles comme au grand public de découvrir plus largement cette production, les 4èmes Rencontres du cinéma indépendant américain sont l’occasion rêvée pour relayer cette circulation défectueuse. Et comme dit Jean-Luc Godart: «Je ne veux parler que de cinéma, pourquoi parler d’autre chose? Avec le cinéma on parle de tout, on arrive à tout.»