Des mains étrangères et tunisiennes tirent les ficelles des pantins salafistes. Le piège tendu à Ennahdha risque de faire «tomber» toute la Tunisie.
Par Jamel Dridi
Avant toute chose et pour en finir avec les raccourcis intellectuels qui avaient lieu sous Ben Ali et qui ont lieu, aujourd’hui, dans certains pays ou l’extrémisme laique est à la mode, la majorité des salafistes sont inoffensifs. Tous les salafistes ne sont pas dangereux
Certes, on peut trouver leur pratique religieuse rigide et trop littéraliste mais tant qu’ils n’obligent pas autrui à les mimer, cela reste leur vie privée. La minorité salafiste qui pose problème est celle qui souhaite imposer sa vision de la société par la violence en diminuant la liberté d’autrui. Et il s’agit bien d’une minorité sans doute d’ailleurs moins nombreuse que le nombre de salafiste dans les banlieues londonniennes.
Le piège salafiste… tendu à Ennahdha
Mais là n’est pas le cœur du problème. Car la vrai question est le piège «salafiste» dans lequel on veut faire tomber Ennadha.
D’un point de vue sécuritaire avant tout. On veut tout à la fois montrer que le gouvernement n’agit pas assez pour le décrédibiliser et le pousser à la confrontation précipitée afin qu’il s’aliène une partie de sa base et meurt dans un combat fratricide.
D’un point de vue économique: couplée à une exagération médiatique qui agit comme une extraordinaire caisse de résonnance pour gonfler le problème, on veut faire peur aux touristes et investisseurs étrangers afin qu’ils ne viennent plus en Tunisie.
D’un point de vue sociétal: l’élite qui, pour une partie, vit plus en France qu’en Tunisie, après une gifle électorale de son favori politique, recommence la même erreur précédant le 23 octobre 2011; non seulement, elle ignore les vrais problèmes du peuple que sont l’emploi, la santé et l’éducation, mais elle développe un discours proche des élites laicardes et islamophobes françaises hostiles à l’islam politique. Mais personne n’est dupe, en attaquant les salafistes, cette élite ne vise qu’Ennahdha car il véhicule une autre vision de la société que la leur. Une société où le musulman pourra enfin être respecté dans ses choix.
C’est donc bien Ennahdha que l’on veut abbattre et avec lui l’islam politique afin de le tuer, alors qu’elle est encore bébé, toute possibilité de renaissance d’un projet de société reposant sur des valeurs musulmanes.
La sortie d’Ennahdha ouvrira la porte de l’inconnu
Mais les détracteurs d’Ennahdha, aveuglés par leur objectif de court terme d’abattre cet acteur politique, ne se posent pas la question de l’après. Car oui que se passera-t-il après qu’Ennahda soit «tombé»? Quel sera l’Etat du pays. Alors qu’aujourd’hui, avec un gouvernement, le pays tient bon gré mal gré contre la tempête. Qu’est-ce qui se passera si le gouvernement actuel disparaît? Sans doute rien de moins que le chaos auquel ces élites échapperont grâce à leur visa ou carte d’identité déjà prête pour passer les frontières.
Mais soyons optimistes et imaginons qu’il n’y aura pas de chaos et que de nouvelles élections auront lieu après que le gouvernement de la troïka (lacolaition tripartiteau pouvoir) s’effacera. Imaginons que des partis «démocrates et modernistes» arriveront au pouvoir. Pourquoi alors Ennahdha et les courants musulmans devraient-ils respecter ceux qui sont au pouvoir et qui ont tout fait pour allumer constamment le feu tant dans la rue que médiatiquement quand Ennahdha était au pouvoir? Comment réagieront ces partis «démocrates» quand des manifestants musulmans sortiront par milliers dans la rue, quand des sit in auront lieu dans toute la Tunisie tous les jours? Les accuseront-ils comme c’est à la mode actuellement chez les extrémistes laiques d’être des terroristes islamistes, des intégristes dangereux, des rétrogrades politiques qui s’opposent à un pouvoir démocratiquement élu? Les enverront-ils en prison comme du temps de Ben Ali? Ce qu’Ennahdha pourtant au pouvoir et possédant l’autorité régalienne de la sécurité n’a pas fait aujourd’hui même?
Vient maintenant la question essentielle de ceux qui soutiennent réellement les salafistes. On désolera ici immédiatement les détracteurs d’Ennahdha en disant que ce parti n’a aucun intérêt à le faire. On notera qu’il est la première victime politique de l’activisme salafiste.
Qui sont les marionnettistes des salafistes?
Question au demeurant simple mais qui ne l’est pas. C’est là une véritable équation à plusieurs inconnues. Il y a l’inconnue interne à la Tunisie avec les anciennes forces de la dictature qui tirent les ficelles d’hordes de voyous qui se sont laissés pousser la barbe pour devenir de véritables faux salafistes ou des salafistes de circonstance. En interne aussi, y a-t-il peut être le soutien tacite de ceux qui sont allergiques à l’islam.
Mais il y a surtout l’inconnue externe. Il y a tous les pays qui n’ont pas accepté la révolution tunisienne. Paradoxalement, pour des raisons parfois diamétralement opposées mais qui les rassemblent. Entre le pays occidental qui perd de son champs d’influence l’ancien pays qui lui obéissait au doigt et à l’œil et la monarchie archaique religieuse qui a peur de la contagion révolutionnaire sur son territoire, beaucoup de services secrets doivent être à l’action pour manipuler les jeunes jouets salafistes avec un même but: destabiliser Ennahdha et la Tunisie.
Si dans dans ce grand jeu de guerre et de destabilisation secrète l’on pouvait reprocher quelque chose à Ennahdha, ce n’est pas son soutien au salafisme mais c’est son temps de réaction pour voir ce piège salafiste que ses ennemis et ceux de la Tunisie creusent, aujourd’hui, sous ses pieds.