Portrait d’un ingénieur franco-tunisien, responsable du parti français Europe Ecologie Les Verts (Eelv) en région parisienne, qui travaille depuis peu à la création d’un mouvement écolo en Tunisie.
Par Ramsès Kéfi, correspondant en France
Les journées de Yassine Ayari sont longues. Souvent, elles se poursuivent jusque très tard dans la nuit. Alors, quand il entre dans le petit café parisien dans lequel il donne rendez-vous, il a du mal à dissimuler sa fatigue, malgré son sourire.
Chez les Verts plutôt qu’au Parti Socialiste
Car à 32 ans, cet ingénieur franco-tunisien s’est pleinement investi en politique. Responsable du parti français Europe Ecologie Les Verts (Eelv) en région parisienne, il travaille aussi depuis peu à la création d’un mouvement écolo en Tunisie: «Nous aspirons à mieux que ce qui existe déjà en la matière.»
Originaire d’un quartier populaire de Garges-Les-Gonesse (Ile de France), son engagement politique à gauche s’est d’abord forgé dans le milieu associatif. Puis, il s’est formalisé en 2008, quand il a choisi de s’encarter, chez les Verts plutôt qu’au Parti Socialiste: «Je ne voulais pas être leur caution diversité, l’arabe de service. Et il y entre lui et moi plusieurs pommes de discorde, notamment dans la manière très partiale du PS d’aborder le conflit israélo-palestinien.»
En février 2011, il devient responsable départemental du parti, chez lui, dans le Val d’Oise. Deux mois plus tôt, Mohamed Bouazizi s’immolait à Sidi Bouzid, pas si loin de Makthar, la ville dont ses parents sont originaires. Les Français faisaient alors connaissance avec l’autre Tunisie.
Celle de l’autocratie, du désespoir et de la souffrance, pas si étrangère que cela à Yassine Ayari: «Très jeune, j’avais lu ‘‘Le supplice tunisien’’ [de Ahmed Manaï Ndlr]. Depuis, je suis resté attentif à ce qui s’y passait et aux dérives du régime. Ce livre a éveillé mon acuité, sans en parler à ma famille, qui avait peur de parler politique.»
Eelv a aussi suivi de près les événements. Sur place, c’est Abdelkader Zitouni, président du parti ami écolo Tunisie Verte qui jouait les informateurs. La connexion se fait avec Yassine Ayari. «Quelque chose d‘informel au départ», qui débouchera sur une collaboration en prévision de l’élection de l’Assemblée nationale constituante (Anc): «Le but était de peser sur les débats en y intégrant nos idées et en poussant les partis en lice à se positionner vis-à-vis des problématiques écologiques.»
Il égrène quelques-uns des chantiers environnementaux qu’il estime «nécessaires et possibles» en Tunisie. Pêle-mêle la souveraineté alimentaire, l’autonomie énergétique et la capacité à s’inscrire dans les innovations en matière de développement durable: «Le potentiel naturel est là, seulement au mieux, il n’est pas exploité, au pire il est détruit […]. Le développement durable est créateur d’emplois, de débouchés économiques. Nous pouvons ainsi très bien investir sur le chauffage solaire ou l’exportation des produits bio à l’échelle méditerranéenne.»
Déplore le laisser-aller pour lesquels les Tunisiens pourraient payer le prix fort ces prochaines années. Cela va de la gestion désastreuse des déchets à la désertification; de la réduction des terres arables à l’état de déliquescence des sols du bassin minier de Gafsa: «C’est en mettant l’écologie au goût du jour dans les débats que l’on sensibilise […]. Il y a aussi toute une éducation à faire en la matière, et ce dès la petite enfance. Notre culture appréhende ce qu’il y a en dehors de la maison comme quelque chose de péjoratif. Il faut changer cela.»
Yassine Ayari.
300 voix dans la circonscription France 1
En octobre 2011, Yassine Ayari était le candidat de Tunisie verte dans la circonscription France 1 (moitié Nord). Il a récolté à peine 1%, soit un peu plus de 300 voix. Un résultat prévisible selon lui: «L’écologie passe au second plan et le parti a une force de mobilisation très limitée.»
L’aventure entamée avec Abdelkader Zitouni s’arrêtera là, puisque Yassine Ayari décidera dans la foulée de rompre avec le parti: «Il manquait de la démocratie dans la prise de décision et de l’interaction avec les militants de base, qui sont un vivier d’idées. Nous travaillons désormais avec d’autres Tunisiens à bâtir autre chose. Une structure plus ouverte.»
Il regarde déjà vers les prochaines échéances électorales et reste optimisme pour la Tunisie, malgré les récents troubles et le contexte économique fragile: «La situation n’est pas satisfaisante et j’en conviens. Mais quel pays s’est relevé un an à peine après avoir fait une révolution? Certains mettent dix, parfois vingt ans.»
Yassine Ayari regrette, entre autres, la partialité de certains journalistes tunisiens dans leur traitement de l’information: «Sous couvert de démocratie, ils se permettent de faire de graves entorses à la déontologie, quand ce n’est pas pire. Se faire le relais de rumeurs sans aucun fondement, c’est dangereux. Je préfère encore le travail de certains blogueurs qui, à bien des égards, est plus sincère et plus intéressant.»
Son parti en France, Eelv, vient de faire son entrée au gouvernement depuis l’élection de François Hollande à la présidence: «On a parlé écologie mais on est aussi capable d’élargir notre champ d’action. C’est la différence entre écologie politique et environnementalisme. On a quand même obtenu l’aménagement du territoire [ministère de l’Egalité des Territoires et du Logement, Ndlr], ce qui est un signe qu’un parti écologique peut et doit être capable de se positionner sur toutes les problématiques. ». En France et en Tunisie.