Selon Taoufik Ouanes, militant des droits de l’homme, ancien fonctionnaire des Nations Unies et avocat, l’extradition de Mahmoudi par la Tunisie est une violation du droit tunisien et international, et traduit une cécité politique. Entretien…

Propos recueillis par Ridha Kéfi


 

Kapitalis : En tant qu’ancien fonctionnaire des Nations unies spécialiste du droit humanitaire international, comment jugez-vous l’extradition de l’ex-Premier ministre Baghdadi Mahmoudi par les autorités tunisiennes?

Taoufik Ouanes: Cette extradition n’est pas seulement une violation du droit tunisien, en ce qu’elle empiète sur les compétences du président de la république, elle est aussi une violation du droit international des réfugiés puisqu’il y a un délai d’appel ouvert jusqu’au 30 juin et que le processus d’appel doit avoir lieu et, qu’entre-temps, aucune extradition n’est permise.

Le Haut comité des réfugiés (Hcr) des Nations unies ayant clairement indiqué que les raisons pour l’extradition retenues par la justice tunisienne sont infondées, il y a donc une contradiction entre la décision tunisienne d’extradition et la position affichée du Hcr.

En exécutant cette extradition, le gouvernement tunisien ne semble pas avoir coordonné avec le Hcr, d’autant que la demande de statut de réfugié est suspensive de toute extradition.

Le Hcr est également responsable car il n’aurait pas signifié ces règles au gouvernement tunisien, commettant ainsi une négligence coupable et doit s’en expliquer publiquement.

Pourquoi le Hcr n’aurait-il pas joué convenablement son rôle dans cette affaire?

Ma peur c’est qu’il y aurait eu une connivence entre le Hcr et le gouvernement tunisien pour des raisons différentes, car cette décision arrange bien les deux parties.

D’un côté, le gouvernement tunisien favorise ses attentes en termes de soutien financier libyen et d’exportation de la main d’œuvre tunisienne vers la Libye. De l’autre, le Hcr n’aura pas à protéger quelqu’un qui est dépositaires de secrets extrêmement dérangeants pour certaines puissances, notamment la France de Nicolas Sarkozy, la Grande-Bretagne de Tony Blair et les Etats-Unis de George Bush.

En  plus de tout cela, le Hcr envisage d’ouvrir un bureau en Libye et semble en avoir accepté le prix.

L’extradition n’a donc pas respecté les règles du droit, mais a été dictée par des considérations trivialement politiques?

Exactement. Et de toute façon, cette décision est à l’encontre de la situation réelle de la sécurité en Libye et de la capacité actuelle de ce pays d’assurer un procès équitable à M. Mahmoudi.

Tous ces éléments, de faits et de droit, ont été à maintes reprises soulignés par les organisations des droits de l’homme, tel Amnesty international et Human Rights Watch.

La situation actuelle présente un défi à la communauté internationale dans le domaine humanitaire et des droits de l’homme, car même la Cour pénale internationale (Cpi) voit son équipe se faire arrêter en Libye lorsque elle a voulu exiger que Seïf El Islam Kadhafi soit jugé par elle.

 

La décision d’extrader M. Mahmoudi par le gouvernement tunisien est donc une grave erreur?

A part son aspect violateur des droits de l’homme et contraire aux principes d’humanité, cette action du gouvernement tunisien risque également de mettre en danger la sécurité des frontières tunisiennes avec la Libye, étant donné que M. Mahmoudi est natif d’un village Al-Âssa, à 17 km de la frontière tunisienne et est considéré comme l’un des notables des tribus Nouaiel et Mhamid qui sont historiquement transfrontalières entre la Libye et la Tunisie.

On peut donc dire, en conclusion, que la décision du gouvernement d’Ennahdha  représente une violation de toutes les règles du droit et traduit également une cécité politique aussi grave que dangereuse.