Le casus belli (déclaration de guerre) politique qui touche la troïka, lacoalition tripartite au pouvoir, serait-il le symptôme visible du divorce entre Ennahdha et le président de la république?
Par Jamel Dridi
Les jeux sont-ils faits pour Moncef Marzouki? Le tacle par derrière (pratique très courante en politique) que vient de lui faire le chef du gouvernement Hamadi Jebali avec l’affaire de l’extradition de Mahmoudi Baghdadi fragilise considérablement un Marzouki déjà raillé pour l’étroitesse de son champs d’action. Et ce n’est pas l’éviction du gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (Bct) qui fera oublier la couleuvre que le président tunisien a dû avaler sans anesthésie.
Certains pourraient voir dans ce nouvel épisode politique tunisien (l’affaire Mahmoudi) une réponse de la bergère au berger, celle de Jebali au coup de poignard médiatique qu’il a dû essuyer de la part de plusieurs conseillers de Marzouki.
Mais il semble que tout cela va plus loin et que le jeu des chaises musicales politique pour le poste de président commence en Tunisie.
Un Marzouki authentique mais affaibli
Marzouki est fidèle à lui-même. Contrairement à ce qui se dit généralement à son propos, Ennahdha a eu du mal, dès le début, à «marionnettiser» cet homme indomptable et iconoclaste. D’autant que le président tunisien est crédité par tous les sondages comme étant l’homme politique le plus populaire chez les Tunisiens.
Mais d’un point de vue politique, Marzouki tend à apparaître de plus en plus comme un roi nu. Le Congrès pour la république (Cpr, parti fondé par Marzouki) est affaibli en raison des défections qu’il a connues au sein de l’Assemblée nationale constituante (Anc). Ses cadres et notamment certains conseillers présidentiels «Cpristes» ont du mal à gober toute la politique d’Ennahdha et le font publiquement savoir, ce qui affaiblit leur chef.
Marzouki, dont la légitimité politique a tout de suite été entamée car élu grâce à Ennahdha, semble donc s’affaiblir de plus en plus politiquement pour le plus grand bonheur de son allié et néanmoins rival du moment…
Béji Caïd Essebsi, l’incontournable partenaire du moment?
Ceux qui connaissent la vie politique tunisienne savent ce qui s’est passé juste avant le 23 octobre 2011. Béji Caid Essebsi lorgnait vers le poste de président de la république. Les discussions avec Ennahdha lui laissaient croire qu’il allait avoir le poste…
Mais la vie politique étant ce qu’elle est, la victoire sans appel d’Ennahdha a donné une légitimité à ce parti qui lui a permis de ne pas honorer au dernier moment la promesse faite à Caïd Essebsi et à lui préférer un Marzouki politiquement neuf aux yeux des Tunisiens et crédité internationalement d’une réputation de droit-de-l’hommiste et donc de démocrate. Le candidat idéal pour Ennahda qui avait besoin de présenter un visage d’ouverture internationalement en associant au gouvernement deux partis de centre-gauche, le CpR et Ettakatol, de Mustapha Ben Jaâfar, président de l’Anc.
Cependant, on ne tue pas politiquement par une petite déception quelqu’un qui a traversé sans grandes blessures politiques cinquante ans de dictature avec tout ce que cela implique de coup bas. A la fois souple et rigide, Caïd Essebsi n’a donc jamais arrêté de croire à son come-back, d’où son retour remarqué avec son projet de parti centriste et rassembleur Nida Tounes (Appel de la Tunisie).
Ennahdha en est de plus en plus conscient. D’autant plus qu’avec les semaines qui viennent de se passer en Tunisie et les nombreux voyages à l’étranger de Caïd Essebsi et de son équipe, Ennahdha sait qu’il peut être fortement gêné par la tringlerie invisible que Béji a bâtie depuis plusieurs décennies en Tunisie et à l’étranger. Cette tringlerie lie des hommes politiques et des hommes d’affaires, eux-mêmes très introduits dans les institutions qui comptent en Tunisie (justice, police, etc.).
Par ailleurs, et mis à part les échanges à fleurets mouchetés qui l’ont opposé à Rafik Abdesselem, une partie de ping-pong médiatique fort amusante, l’un renvoyant l’autre à ses petits devoirs scolaires ou à la retraite politique, aucune des deux parties n’a fermé les portes de la discussion.
Si nous écrivions, il y a quelques temps, que l’initiative de Caid Essebsi n’avait pas d’avenir en tant que parti en raison de l’hétérogénéité de sa composition, il est en revanche fort possible que celle de Caid Essebsi en tant que président de la Tunisie aurait plus de chances de succès, si la discussion avec Ennahdha s’approfondit.
Il ne faut pas «enterrer» de sitôt «l’homme politique tunisien le plus populaire»
Sauf si Marzouki, d’ailleurs crédité par tous les sondages comme étant l’homme politique tunisien le plus populaire, décidait finalement de revenir au premier plan en montrant qu’il est un pilier indispensable de la troïka.
S’il ne veut pas être englouti par le jeu politique qui se dessine, c’est donc à Marzouki de remonter sur le ring et de donner de la voix afin de redonner au CpR plus de relief politique.
A défaut, il y a de grandes chances qu’il fasse rapidement partie de l’histoire politique tunisienne, au moment où, paradoxalement, il est l’homme politique que la rue tunisienne apprécie le plus.