La décision des autorités tunisiennes d’ouvrir leur marché du travail aux ressortissants des pays du Maghreb est accueillie assez froidement par les autres pays, peu disposés à appliquer le principe de réciprocité.

Par Imed Bahri


Cette décision avait été annoncée, on le sait, par le président de la république provisoire Moncef Marzouki, lors de sa tournée maghrébine, effectuée il y a quelques mois.

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Ainsi, à partir du 1er juillet, les ressortissants des pays de l’Union du Maghreb arabe (Uma), à savoir la Mauritanie, le Maroc, l’Algérie et la Libye, pourront:

- entrer en Tunisie sans visas ni passeport;

- effectuer des séjours de longue durée ou résider d’une manière permanente en Tunisie sans aucun document;

- accéder au marché de l’emploi sans autorisation préalable;

- participer aux élections municipales.

Migrants au camp de Choucha sur la frontière tuniso-libyenne.

L’initiative de M. Marzouki vise à créer un climat favorable à la tenue d’un sommet de l’Union du Maghreb arabe (Uma), que le Palais de Carthage espère organiser en octobre prochain. Un vœu pieux que caresse M. Marzouki, un fervent adepte de l’unité arabe, qui espère marquer son court passage à la tête de l’Etat par la tenue d’un sommet maghrébin reporté depuis… 1994.

Reste que ce vœu a peu de chance de se réaliser, et son initiative, populiste et démagogique, d’ouvrir les frontières tunisiennes, à partir du 1er juillet, à la main d’œuvre en provenance des quatre autres pays maghrébins (Algérie, Libye, Mauritanie, Maroc), a suscité plus de scepticisme et de crainte auprès des gouvernements des pays voisins que d’enthousiasme parmi leurs populations.

Le scepticisme des voisins maghrébins

L'armée tunisienne fait face à un afflux de migrants en provenance de Libye.

Ce scepticisme et cette crainte sont exprimés, indirectement, par les médias de ces pays. C’est le cas de l’Algérie, où le quotidien ‘‘L’Expression’’, écrit notamment à ce propos: «Les ressortissants algériens pourront obtenir à partir du 1er juillet une carte de séjour en Tunisie sur présentation d’un contrat de travail délivré par une société installée sur le sol tunisien. La partie algérienne a été informée de cette décision d’ouverture du marché tunisien à la main-d’œuvre algérienne sans négociations préalables. Or, l’Algérie ne compte pas pour l’instant appliquer le principe de réciprocité. Elle craint surtout que des personnes malintentionnées ne déferlent sur le pays dans un contexte sécuritaire qui n’est pas stabilisé: les terroristes redoublent de férocité dans la région.»

Deux Libyens d'Al-Qaïda jugés début juin par un tribunal tunisien.

La décision tunisienne peut paraître démagogique aux yeux des Algériens, même s’ils ne l’avouent pas ouvertement, car quels travailleurs algériens viendraient chercher du travail aujourd’hui en Tunisie, un pays qui compte plus de 800.000 chômeurs et où la situation sécuritaire est loin d’être stabilisé?

Les voisins algériens soulignent cependant, à travers leurs médias, le contexte de crise politique entre le gouvernement et la présidence provisoires en Tunisie, et qui s’est aggravée après l’extradition de l’ex-Premier ministre libyen, Baghdadi Mahmoudi.

‘‘L’Expression’’, qui évoque un risque d’«implosion de la coalition au pouvoir en Tunisie», d’autant que «chaque jour qui passe révèle un nouvel épisode dans la rivalité entre Moncef Marzouki et Hamadi Jebali», s’interroge, à juste titre, sur un ton ironique: «La cacophonie ne devrait pas être de mise lors de réunions régionales. Avec qui Alger devrait-elle négocier lors du sommet de l’Uma? Avec Jebali ou avec Marzouki? Qui prendra des engagements au nom de la Tunisie?»

Appel d’air aux terroristes et hors-la-loi

Des terroristes d'Al-Qaida tués par des éléments de l'armée le 1er février 2012 à Bir Ali Ben Khalifa, près de Sfax.

Outre le scepticisme des autres pays maghrébins, qui ne semblent pas avoir accueilli le «cadeau» de M. Marzouki à sa juste valeur, la décision tunisienne suscite, sur le plan intérieur, de réelles inquiétudes, tant il est vrai que la situation sécuritaire instable dans le pays et l’aggravation de la menace terroriste, avec l’activisme d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), au Mali, au sud de l’Algérie et même en Libye, n’incite pas à l’ouverture tout azimut des frontières aux ressortissants maghrébins munis d’une simple carte d’identité. Quand on sait que des groupes terroristes et des convois d’armes ont pu pénétrer en Tunisie, au cours des derniers mois, via les frontières libyenne et algérienne, on peut craindre qu’une pareille décision ne soit interprété comme un appel d’air à tous les apprentis terroristes, trafiquants et hors-la-loi de tous genres.

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