Le vieux routier de la scène politique tunisienne en train de fédérer des forces en vue de constituer une plateforme politique susceptible de constituer un front réunissant toutes les forces politiques progressistes... face à Ennahdha.
Par Wahid Chedly
Le mouvement Nida’ Tounès créé par le sémillant bourguibiste Béji Caïd Essebsi électrise le camp moderniste. 40% des dirigeants de la Voie démocratique et sociale (Vds) ont choisi de rallier ce parti qui se présente comme une alternative crédible à la «troïka», la coalition tripartite au pouvoir dominée par Ennahdha.
Un échiquier politique instable
Le paysage politique tunisien connaît, depuis la chute de Ben Ali, des remodelages successifs et radicaux comme seules les révolutions sont capables d’en produire.
Tarek Chaabouni: "El Massar hors de Nida' Tounès n'est plus viable, ni nécessaire". Ph. Shems FM
Véritable Etat-parti pendant 23 ans le Rassemblement constitutionnel démocratique (Rcd) a été transformé en un champ de ruines politique, dans le sillage de la révolution. Une formation que l’on croyait complètement rabougrie a été propulsée par la grâce du soulèvement populaire au devant de la scène: le mouvement islmaiste Ennahdha qui domine le gouvernement actuel.
Les erreurs et les faux pas à répétition de ce gouvernement truffé d’anciens prisonniers politiques semblent désormais provoquer un nouveau bouleversement sur un échiquier politique instable. Créé officiellement le 16 juin dernier par l’ancien Premier ministre Béji Caïd Essebsi, le parti baptisé Nida’ Tounès (L’Appel de la Tunisie) qui se présente comme un mouvement fédérateur des forces libérales et centristes en vue des prochaines élections en mars 2013 est en train de ratisser large dans le camp moderniste et de redessiner la carte politique…
Nida’ Tounès ratisse large
Après plusieurs dirigeants et militants du Parti national tunisien (Pnt) qui ont exprimé leur souhait de rejoindre le parti fondé par l’ancien ministre de Bourguiba, quelque 40% des dirigeants et des centaines de militants de la Voie démocratique et sociale (Vds, plus connue sous l’appellation d’Al-Massar) ont annoncé lundi leur ralliement à l’initiative de Béji Caïd Essebsi. Hatem Chaâbouni, Tarek Chaâbouni, Leïla Hamrouni et Adel Chaouch, des anciennes figurent parmi les «transfuges» d’Al Massar ayant annoncé leur adhésion à Nidaâ Tounes.
Le peuple de Caïd Essebsi.
Déjà Boujemâa Remili, figure de proue des réformistes d’Ettajdid, qui avaient travaillé avec feu Mohamed Harmel, fait partie, à titre personnel, du groupe fondateur de Nida’ Tounès. Il vient d’ailleurs d’être chargé de l’organisation interne.
Petites boutiques et grand magasin…
Interrogé sur les motivations qui ont été à l’origine de la division d’Al-Massar sur le ralliement à Béji Caïd Essebsi, l’ancien membre du Bureau politique d’Ettajdid affirme que l’origine du mal se trouve dans l’entêtement des leaders du parti issue de la fusion entre Ettajdid, le Parti du travail tunisien (Ptt) et les indépendants du Pôle démocratique moderniste (Pdm), à préserver leurs petites boutiques au lieu de les rassembler pour donner naissance à un grand magasin. «Sous le prétexte fallacieux de la sauvegarde de l’identité et de l’âme d’Ettajdid, qui est la principale composante d’Al-Massar, les dirigeants de ce parti ont refusé de rallier Nida’ Tounès. Or, même Ettajdid a cessé d’être un parti de gauche depuis son congrès tenu en 1993», précise-t-il.
De son côté, Tarek Chaâbouni, ancien membre du comité central d’Ettajdid, estime que Nida’ Tounes est l’unique mouvement capable de défendre le projet moderniste tunisien et de faire contrepoids à la mouvance ultraconservatrice représentée par Ennahdha et ses satellites. «Nous pensons qu’El Massar hors de Nida’ Tounès n’est plus viable, ni nécessaire, car il est conçu comme une voie de passage vers une forme plus large. Nous avons donc estimé que le moment était venu pour converger et adhérer à ce nouveau parti en formation car il représente l’instrument capable, dans la conjoncture actuelle, de faire le contrepoids à Ennahdha et ses alliés. Il représente, à mes yeux, l’enjeu et le lieu central pour la reconstruction, l’alternative et l’alternance avec Ennahdha», souligne-t-il. Et d’ajouter: «Après le 23 octobre, il y a eu un grand désir d’unification des forces démocratiques de la gauche et du centre, mais sans grand résultat. Nous avons été battus aux élections du 23 octobre, car nous étions dispersés et les Tunisiens ont élu une force minoritaire, mais bien organisée. Maintenant, aller encore une fois seul aux prochaines élections n’est plus possible: Ettajdid seul pour la nouvelle bataille électorale, c’est fini».
Hatem Chaâbouni quitte la famille d'Ettajdid et d'El Massar.
Caïd Essebsi, sauveur des progressistes?
Le président d’El Massar, Ahmed Brahim, a minimisé la portée de ces défections. «Quelques individus ont pris la décision personnelle de quitter El Massar pour rejoindre Nida’ Tounès, ce n’est pas un événement. Il s’agit d’une vingtaine de personnes or, nous sommes un parti qui compte des milliers d’adhérents, je ne pense pas que leur départ puisse l’affaiblir. Ils ont décidé de ne plus appartenir à El Massar, je leur dis: bon vent !», a-t-il précisé.
Le chef d’El Massar a également précisé que le Conseil central du parti, tenu dimanche dernier, s’est prononcé en faveur du regroupement des forces progressistes dans le cadre d’un front, mais contre la logique des fusions-absorptions. «Nous sommes pour le regroupement et les alliances de fronts démocratiques civiques. Mais maintenant que Nida’ Tounès s’est transformé en parti politique en formation, il est, pour nous, hors de question qu’un parti adhère ou se fond dans un autre parti. Nous sommes pour un regroupement de forces politiques diverses mais pas pour une union dans un parti. Le pays a besoin d’un regroupement des forces porteuses de valeurs démocratiques pour la réalisation des objectifs de la Révolution. Nous continuerons, donc, à travailler pour la concrétisation du front démocratique en tenant compte des diversités et pour l’ouverture que le pays exige de nous», a-t-il fait savoir.
Caïd Essebsi, qui entame une quatrième vie politique (il a été ministre sous Bourguiba, président de l’Assemblée nationale sous Ben Ali et Premier ministre provisoire durant la première année post-révolutionnaire, Ndlr), ne demande pas plus.
Intervenant mardi sur les ondes de la radio privée Express FM, le vieux routier de la scène politique tunisienne a annoncé qu’il lancera bientôt une plateforme politique susceptible de constituer le noyau d’un front réunissant les forces politiques progressistes. On imagine mal, dès lors, que des partis se réclamant du modernisme, comme Al-Massar ou encore le Parti Républicain, n’adhèrent pas à ce front où ils ne risquent pas de perdre leur âme. La logique des rapports de force électoraux ne semble laisser aucune autre alternative aux progressistes. Avec 1,5 million de voix sur plus de 4 millions de votants, Ennahdha a pu s’imposer. Presque autant de voix, données à plusieurs dizaines petits partis laïcs et à des listes indépendantes se sont perdues dans le néant…