Machiavel (1469-1527) écrivait dans Le Prince: «Un mauvais conseiller politique peut entraîner la perte de son roi». La «troïka» ne cesse de faire les frais de l’amateurisme de certains de ses conseillers.
Par Jamel Dridi
Le conseiller politique ne doit jamais exister publiquement. A vrai dire, c’est une situation inédite dans l’histoire de la politique du fait de son ampleur. Le gouvernement actuel, mis à part quelques rares exceptions, est composé de novices en politique. Qu’ils aient été opposants, chefs d’entreprises, enseignants ou autres, beaucoup parmi ceux qui tiennent les commandes de la Tunisie actuelle n’ont jamais exercé le pouvoir exécutif avant.
Abdallah Kahlaoui, ex-conseiller diplomatique de Marzouki, démissionnaire.
Des conseillers qui n’ont pas compris leur fonction
Dans une moindre mesure, la situation existe ailleurs. Ainsi, après les récentes élections en France, plusieurs ministres novices ont pris place dns le gouvernement. En cela, ils sont aidés par plusieurs conseillers qui, même s’ils sont bien souvent invisibles, sont les véritables piliers qui tiennent l’édifice permettant au ministre d’assurer politiquement.
On se doit de se poser la question de savoir si les conseillers politiques tunisiens ont compris leur rôle. La question peut paraître étonnante mais elle doit être posée compte tenu des énormes erreurs commises par certains de ces conseillers qui ne semblent pas avoir compris leur fonction.
C’est vrai qu’il n’y a aucune école qui apprend le métier de conseiller politique d’autant plus qu’il est un peu nouveau en Tunisie. Avant, les conseillers ne conseillaient pas. Ils obéissaient au doigt et à l’œil au boss, c’est-à-dire au ministre, qui lui-même n’avait aucune marge de manœuvre et obéissait totalement au Palais de Carthage.
Ayoub Messaoudi, ex-conseiller en communication de Marzouki, démissionnaire.
Les 3 règles d’or du bon conseiller
Le rôle du conseiller politique est pourtant simple, en tous cas dans la forme. Il ne donne pas son avis n’importe quand et n’importe comment à celui qu’il conseille. Le penseur politique Machiavel allait même jusqu’à dire que le conseiller ne donne son avis que quand on l’interroge afin de ne pas induire son maître en erreur.
Mais surtout le conseiller ne doit pas exister publiquement. En aucun cas, il ne doit commettre la grave faute professionnelle de communiquer au grand jour car il pourrait engager la parole de son chef sans que ce soit la réelle position de son chef. Ce qui fera même dire au président américain Reagan, à qui l’on reprochait d’être un débutant complet en politique alors qu’il était l’homme le plus puissant du monde (Reagan fut longtemps acteur de cinéma), «qu’il était nul en politique mais qu’il avait de bons conseillers qui ne devaient jamais voir la lumière du jour»; comprenez qu’ils avaient l’obligation de rester dans l’ombre et l’interdiction d’intervenir en public.
Mohamed Chawki Abid, ex-conseiller économique de Marzouki, démissionnaire.
Le conseiller engage la parole de son patron
Dans les récents événements en Tunisie, à quoi a-t-on assisté? A des sorties médiatiques autant injustifiées sur le fond qu’inadmissibles sur la forme de conseillers qui ont parlé en lieu et place de celui qu’ils étaient censé conseiller. Le pire, dans cette situation, c’est quand des conseillers ont exprimé en réalité leurs propres positions politiques obligeant leur patron à revenir en arrière et à démentir ce qui avait été dit.
Si le conseiller est en désaccord avec la ligne de conduite de son patron, il doit démissionner et, même dans ce cas, il doit aussi le faire en toute discrétion. On connaît la célèbre phrase de Jean-Pierre Chevènement: «Un ministre, ça ferme sa gueule ; si ça veut l'ouvrir, ça démissionne». C’était le 22 mars 1983, quand il a démissionné de son poste de ministre d’État, ministre de la Recherche et de la Technologie sous François Mitterrand pour protester contre la «parenthèse libérale». Cette phrase s’applique aussi, et surtout, aux conseillers.