La défaite électorale des laïcs en Tunisie et en Egypte est due au fait qu’«ils n’étaient pas proches des couches les plus défavorisées», estime le député vert européen au cours d’une rencontre vendredi à Tunis.

Par Myriam Amri


 

Imaginez le tableau. Daniel Cohn-Bendit, agitateur politique de l’Europe venu s’exprimer en Tunisie le 6 juillet avec comme thème «les vieilles démocraties et le printemps arabe».

Ce caméléon de notre ère, à la fois «Danny le Rouge» de Mai 68, messie de l’écologie ou fervent fédéraliste européen, connu pour son franc-parler, a fait exploser sa notoriété de l’autre côté de la Méditerranée lors de ses fréquents «coups de gueule» contre le Parlement européen au sujet des révolutions arabes.

La conférence organisée par l’Ecole tunisienne de politique – école qui cherche à former la jeunesse des partis politiques – a tenté de mettre en perspective l’histoire de la construction européenne avec celle de la démocratie tunisienne.

Ce rêveur des «Etats-Unis» d’Europe, déçu par cette Union européenne (UE) qui a oublié ses valeurs et serré pendant longtemps la main des dictateurs du Sud de la Méditerranée, a fait le vœu d’un Maghreb uni «contre l’Europe».

Quel régime pour la Tunisie?

Il est déjà important de se souvenir que les révolutions – glorifiées à travers l’histoire – sont souvent des mouvements de minorités auxquels ne succède pour ainsi dire jamais une démocratie. La révolution française a vu la Terreur lui succédé et il a fallu plus de deux siècles à la Grande-Bretagne pour bâtir un système démocratique, comme l’a rappelé M. Cohn-Bendit.

Ces observations ne manqueront pas d’inquiéter encore plus les Tunisiens connus pour leur impatience légendaire. Ainsi, si donc si la démocratie est un très long chemin semé d’embuches, il ne s’agit pas de baisser les bras et d’attendre que le temps passe mais de bâtir dès maintenant les bases juridiques et institutionnelles d’une démocratie qui permettront au régime de traverser les différentes crises.

C’est dans cette perspective que se pose aujourd’hui la question d’un régime présidentiel ou parlementaire. Le premier définirait une stricte séparation entre les trois pouvoirs (exécutif, judiciaire et législatif) alors que dans le second chaque pouvoir équilibre l’autre (le gouvernement est responsable devant le parlement, mais, en contrepartie, il peut disposer du droit de dissoudre ce dernier). La doxa sur le régime parlementaire conviendra qu’il est nécessaire qu’il y ait une tradition politique et une tradition des partis pour que ce régime fonctionne. Néanmoins, pas toujours, comme l’a rappelé M. Cohn-Bendit, avec le contre-exemple de l’Espagne qui, à la chute de Franco, a forgé un régime parlementaire en créant sa propre tradition politique (les anciens franquistes devenus les conservateurs face aux opposants à la dictature devenu le camp socialiste).

Pour le député des Verts, la question du bon régime est mal posée en Tunisie. En effet, au lieu de se centrer sur le dilemme parlementaire-présidentiel, il est plus intéressant de se pencher sur le mode de scrutin car c’est ce dernier qui va définir le type de régime. Certains scrutins – comme le scrutin proportionnel – vont privilégier la représentativité des différentes tendances de la société et favoriser les coalitions pour pouvoir gouverner (l’Allemagne que Daniel Cohn-Bendit présente comme le meilleur modèle) alors que d’autres – tel que le scrutin majoritaire – vont donner tous les pouvoirs au vainqueur même si ce dernier n’a pas la majorité absolue au sein de la société (Angleterre).

 

DanielCohn Bendit reçu par Hamadi Jebali à la Kasbah

La démocratie comme respect des minorités

La démocratie telle qu’on la définit dans le sens commun peut se résumer en une seule phrase, «le gouvernement du peuple, par le peuplepour le peuple» (Lincoln). Or, il semble important de s’éloigner de cette perspective et de ne pas oublier que «la démocratie n’est pas le pouvoir de la majorité mais le respect des minorités», comme l’a souligné le député européen.

Il ne s’agit pas à la majorité d’agir comme bon il lui semble, sous prétexte qu’elle aurait la légitimité populaire, mais il est primordial qu’elle respecte les libertés des minorités et de l’opposition, ne serait-ce que par respect pour le principe d’alternance qui signifierait qu’elle pourrait à son tour se retrouver dans la situation de la minorité.

Ainsi, «dans une démocratie, il faudrait que chaque force politique sache et puisse défendre la liberté d’expression de l’autre». C’est dans cette perspective que la liberté d’opinion et de presse doit être la plus totale possible et qu’il est primordial que les instances de défense de ces libertés soit placées au-dessus du jeu politique.

Démocratie et/ou religion?

Enfin, pour Daniel Cohn-Bendit, il est clair que «dans une démocratie où la religion joue un rôle central, il y a une difficulté démocratique», car la religion –peut importe sa forme – n’est pas «soluble» dans la démocratie. C’est pour cette raison qu’il a critiqué l’inscription dans la constitution de la confession du président de la république (motion voté quelques semaines auparavant et qui déclare que le président de la république doit être de confession musulmane) similaire au régime israélien où le président doit être de confession juive.

Derrière le débat de la laïcité versus la religion se cache un problème de classes, comme l’a affirmé le député. Les classes les plus populaires et rurales ont plus tendance à se tourner vers des mouvements plus traditionnels leur garantissant la préservation de leur mode de vie et de leurs valeurs. Les partis traditionnels comme Ennahdha ont été plus implantés dans les régions défavorisés que les autres partis. D’où, d’après le député des Verts, la défaite des laïcs en Egypte et en Tunisie «car ils n’étaient pas proches des couches les plus défavorisées».

Si Daniel Cohn-Bendit est un croyant de la politique comme force de transformation de la société, on est en droit de s’interroger sur la véritable portée de cet art. La politique est-elle une infrastructure pouvant modeler le changement social ou n’était-elle juste que l’instrument de représentativité de la société? Vieux débat philosophique, toujours d’actualité.