Les menaces actuelles à la liberté de la presse, aux droits fondamentaux, aux symboles de l’Etat et à certains acquis sociaux, «imprègnent toute la société de sentiments d’inquiétude, de peur et de désenchantement».

Par Imed Bahri


 

Dans sa note géostratégique n° 6, de mai 2012, passée presque inaperçue, la Fondation Ahmed Tlili pour la culture démocratique et la justice sociale (Fatcdjs), créée après la révolution par les enfants de leader syndical défunt, brosse un tableau plutôt gris de la situation en Tunisie et dans la région du Maghreb.

Les risques liées à l’instabilité libyenne

La note, réalisée par Ridha Tlili, passe en revue la situation internationale, notamment en Europe et au Moyen-Orient et qui n’incite pas à l’optimisme, notamment avec la récession qui menace toujours l’économie mondiale, la montée, la montée des droites nationalistes en Europe du Nord et les bruits de botte au Proche-Orient avec la menace d’une guerre Iran-Arabie Saoudite.

Sur le plan régional maghrébin, la situation n’est pas moins inquiétante avec l’instabilité en Libye «qui risque de se prolonger et elle risque également d’affecter les pays voisins notamment la Tunisie».

Avec la recrudescence des activités des trafiquants (armes, drogues, émigration clandestine, etc.), des groupes terroristes (Al-Qaïda au Maghreb islamique, Aqmi), des mouvements séparatistes (Touareg…) et autres dans la bande saharienne pourraient contribuer à la déstabilisation des Etats maghrébins et subsahariens. La situation actuelle au Mali préfigure cette menace. «Il s’agit là d’une situation inédite, qui risque de balkaniser le Maghreb et les pays subsahariens», va jusqu’à dire la Fondation Ahmed Tlili.

Par ailleurs, les ambitions expansionnistes des puissances émergentes (Turquie, Arabie saoudite, Qatar, Chine…) dans une région en pleine mutation politique, risquent d’achopper aux intérêts des grandes puissances qui y sont installées de longue date (Europe, Etats-Unis). Ce qui ne manquera pas de compliquer le jeu politique et de rendre encore plus difficile les transitions démocratiques actuellement en cours.

L’absence d’une feuille de route claire

En ce qui concerne la situation en Tunisie, l’analyste n’est pas moins pessimiste. Car, avec une Assemblée nationale constituante (Anc) «qui ne dispose pas aujourd’hui d’une feuille de route concernant les prochaines élections le 20 mars 2013», il est peu probable que le gouvernement, les partis politiques et la constituante puissent confirmer, à terme, l’alternance, condition sine qua non d’un accès effectif à régime démocratique.

L’analyste, qui souligne la «confusion profonde et permanente autour du statut de l’Etat», s’interroge, à juste titre : «Qui gouverne en Tunisie? Le gouvernement, le parti Ennahdha ou des forces étrangères occultes?»

Il souligne aussi les menaces, directes ou indirectes à la liberté de la presse, aux droits fondamentaux, à la légitimité de certaines associations et syndicats (l’Ugtt en particulier), aux symboles de l’Etat (drapeau, bâtiments publics…), ou encore à certains acquis sociaux, comme le statut de l’école de la république (menacée par les médersas coraniques), le droit de grève et de manifester sur la voie publique, et le statut de la femme. Toutes ces menaces, conjuguées aux interminables polémiques provoquées par une campagne électorale toujours présente et permanente à travers notamment les discours et positions des membres de la «troïka», la coalition tripartite au pouvoir, «imprègnent toute la société de sentiments d’inquiétude, de peur et de désenchantement», d’autant que, comme l’explique M. Tlili, «l’action du gouvernement ne semble pas attirer le soutien de l’opinion publique».

L’auteur, qui n’écarte pas certains scénarios extrêmes, comme «l’arrêt du processus démocratique par un coup d’Etat militaire et policier», conclue: «En Tunisie et dans le monde arabe, il apparaît évident, aujourd’hui, qu’une révolution démocratique qui ne soit pas accompagnée d’une révolution sociale reste profondément inachevée et risque de se retourner contre les aspirations de la révolution. Il est donc urgent de se prononcer sur une nouvelle approche sociale et économique du  développement et de la solidarité nationale et régionale».