Ennahdha annonce un remaniement imminent du gouvernement et un élargissement de la coalition au pouvoir. Aveu d’échec ou volonté de relancer une machine qui se grippe gravement? Sans doute les deux…
Par Imed Bahri
C’est Rached Ghannouchi, le président d’Ennahdha, qui l’a indiqué en premier aux médias, en marge du 9e congrès de son parti, le week-end à Tunis: un remaniement du gouvernement et un élargissement de la coalition au pouvoir sont envisagés au lendemain du congrès. L’information a été ensuite confirmée, à demi mot, par le premier concerné, à savoir le chef du gouvernement Hamadi Jebali.
Un gouvernement déjà à bout de souffle
«Nous procédons à l’évaluation de la prestation du gouvernement en place depuis six mois pour en tirer les enseignements qui pourraient induire un changement de ministres ou de portefeuilles, voire l’élargissement de la coalition à d'autres partis», a ainsi déclaré Rached Ghannouchi. Ce futur possible remaniement servirait à donner plus d’efficacité à l’action du gouvernement, a-t-il estimé.
La teneur de cette annonce et son timing ne sont pas fortuits. Intervenant à un moment charnière entre deux élections, le remaniement du gouvernement et l’élargissement de la coalition gouvernement viseraient, en cas de concrétisation, à relancer un gouvernement déjà à bout de souffle, à ranimer une coalition gouvernementale qui commence à montrer de graves fissures et à relancer un parti Ennahdha où la certitude de l’accès au pouvoir est minée par les doutes suscités par sa gestion approximative et hésitante des grands enjeux de la période transition.
L’absence d’agenda clair, le manque de visibilité politique, l’aggravation de la crise économique et sociale et le retour de la confusion entre le parti et l’Etat, qui caractérisent déjà l’action du parti islamiste au pouvoir et du gouvernement de coalition, ne donneraient pas forcément envie aux électeurs tunisiens de refaire de nouveau confiance à Ennahdha lors des prochaines consultations. D’où sans doute cette volonté de s’ouvrir aux autres forces politiques du pays, dans l’espoir de remettre Ennahdha au centre de l’échiquier, au moment où les forces de l’opposition tentent de se refaire, de s’unir et de constituer des fronts capables de peser face à Ennahdha.
Le loup Caïd Essebsi dans la bergerie de la transition
Ce qui inquiète le plus Ennahdha – plus sans doute que les états d’âme de son allié de centre-gauche, le Congrès pour la République (CpR), parti du président Moncef Marzouki –, c’est la perspective de la reconstitution, autour de l’ex-Premier ministre Béji Caïd Essebsi, d’un front réunissant des éléments libéraux, de gauche, nationalistes et autres, et qui risque, lors des prochaines élections, de rafler le vote sanction des déçus d’Ennahdha.
Dans la course annoncée aux maroquins, les paris sont ouverts. Les noms des partants sont presque connus: les ministres qui ont brillé par leur incompétence ou qui n’ont pas su transcender leur appartenance partisane pour se mettre au service de tous les Tunisiens. Le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique Moncef Ben Salem, dont la gestion chaotique des problèmes survenus cette année à l’université a laissé des traces, pourrait être sur la liste des partants. Ainsi, peut-être, que la jeune ministre de l’Environnement Mamia El Banna, qui semble un peu perdue dans un secteur gangréné par la corruption et où son empreinte tarde à être visibles. Quant au ministre des Finances, l’économiste Houcine Dimassi, qui a commis la bêtise de laisser accréditer la thèse d’une transaction financière entre la Tunisie et la Libye derrière l’extradition de Baghdadi Mahmoudi, il pourrait être conduit à la porte lui aussi. Une bonne occasion pour cet intellectuel de gauche et militant syndicaliste de revenir dans le giron de sa famille naturelle. Autre candidat au départ, Abdellatif Abid, ministre de l’Education, très probablement victime des ratés enregistrés, cette année, dans le déroulement du concours national du baccalauréat.
Les paris sur les probables nouveaux promus vont aussi bon train. Il reste à savoir quelles sont les forces politiques qui seront concernées par cet élargissement annoncé de la coalition gouvernementale. Des ballons d’essai ont été lancés ces derniers jours par des médias proches d’Ennahdha, qui ont balancé des noms de très improbables futurs alliés du parti islamiste, tel celui de l’avocate et militante des droits de l’homme Radhia Nasraoui, épouse de Hamma Hammami, porte-parole du Parti des ouvriers tunisiens (Pot). Comme on s’y attendait, le démenti n’a pas tardé. On a laissé aussi entendre que des éléments du Parti républicain, qui regroupe certains ténors de l’opposition actuelle (tels les Néjib Chebbi, Maya Jeribi et autres Yassine Brahim), pourraient être sollicités. L’annonce a été aussitôt suivie d’un niet retentissant des concernés. Ces derniers ont affirmé que leur participation à une coalition gouvernementale élargie ne saurait être envisagée que dans le cadre d’un gouvernement de salut national et sur la base d’un programme commun dûment concerté.
S’il apparaît peu probable qu’Ennahdha trouve de nouveaux alliés parmi ses opposants actuels (que ce soit parmi la gauche traditionnelle, les libéraux bourguibistes ou même ses frères ennemis d’Al-Aridha Châbia), dans quels autres viviers politiques le parti islamiste va-t-il puiser la nouvelle sève dont il a besoin pour insuffler une nouvelle énergie à un gouvernement déjà fatigué et un tantinet impuissant?
Les Rcdistes à la rescousse!
Il reste, bien sûr, les Rcdistes, cadres de l’ex-parti au pouvoir, grands larbins devant l’Eternel, qui ne demandent qu’à rendre service aux nouveaux maîtres du pays. Beaucoup de ces Rcdistes ont déjà été adoubés par le nouveau pouvoir, et ils hantent les rouages de l’Etat. On les retrouve à tous les étages: dans l’administration publique, la police, la magistrature, les médias et le monde des affaires. Ils ont juste changé de logiciel, se sont laissé pousser la barbe et montrent aujourd’hui autant de zèle à servir le parti islamiste qu’ils avaient mis jadis à le combattre, quand ils étaient au service de l’ex-dictateur.
Autres alliés possibles d’Ennahdha: certains nouveaux partis créés au lendemain de la révolution du 14 janvier 2011 par d’illustres inconnus, des hommes d’affaires venus de nulle part, au passé mystérieux et aux ambitions politiques sans commune mesure avec leurs réelles capacités de mobilisation populaire. Ces partis, dont l’existence se résume souvent à la diffusion d’une suite de communiqués de presse aussi oiseux que redondants, pourraient servir d’alibis commodes à Ennahdha dans sa quête d’une fausse ouverture, qui maintiendrait le statu quo. Une tactique que les Tunisiens connaissent très bien puisqu’elle était utilisée par Ben Ali pour asseoir sa dictature sur une illusion de pluralisme… purement arithmétique.