La demande a été faite, mardi, par le président Marzouki, au cours de son entretien, mardi, avec le chef d’Etat français. Un geste que la France pourrait faire pour faire oublier son acoquinage avec la dictature de Ben Ali.

Par Imed Bahri


 

La France et la Tunisie ont convenu d’«œuvrer de concert en vue d’identifier les mécanismes adéquats pour la conversion de la dette tunisienne en projets de développement et garantir sa bonne utilisation», indique un communiqué rendu public par la présidence de la république tunisienne, à l’issue de l’entretien, mardi, au Palais de l’Elysée à Paris, entre le président français François Hollande et son homologue tunisien Moncef Marzouki.

Les promesses antérieures de M. Hollande

M. Hollande, souvenons-nous, avait effectué, les 24 au 25 mai 2011, en tant que dirigeant du Parti socialiste français (PS) et candidat à l’élection présidentielle française, une visite en Tunisie pour pendre le pouls du «Printemps arabe», déclenché par la jeunesse tunisienne.

Interrogé sur l’annulation de la dette tunisienne par les bailleurs de fonds internationaux, alors préconisée par de nombreux représentants de la société civile, au cours d’une rencontre-débat, le 24 mai 2011, avec de jeunes leaders et représentants de la société civile tunisienne, M. Hollande avait déclaré: «Je propose que la dette tunisienne soit convertie sous forme de don par la communauté internationale».

 

Marzouki à l'Elysée

M. Hollande avait aussi prôné, lors de cette rencontre-débat, un audit de la dette tunisienne, tout en rappelant que celle-ci ne représente «que» 37% de la richesse nationale, contre 85% pour la France! Il a toutefois proposé, vu la situation actuelle du pays, de dispenser la Tunisie du paiement des intérêts, mais sans suspendre complètement les paiements de la dette elle-même, pour ne pas voir baisser la notation de la Tunisie.

En remettant cette question de la reconversion de la dette tunisienne au centre de son entretien, mardi, avec son homologue français, M. Marzouki n’a fait qu’évoquer un thème qui lui est cher, ainsi qu’à son parti, le Congrès pour la république (CpR), qui s’apprête à déposer, auprès de l’Assemblée nationale constituante (Anc), un projet de loi à Tunis remettant en cause la «dette odieuse»1 tunisienne.

Haro sur les dettes odieuses!

Ainsi, fin juin, le président de la république en a surpris plus d’un, au sein même du gouvernement, en refusant de signer un accord passé avec le Fonds monétaire international (Fmi), arguant, dans un communiqué, la nécessité, «de mener un audit des dettes pour vérifier si ces dernières sont légalement à la charge de l’Etat tunisien ou de l’ancien régime...»

La démarche du président de la république est appuyée par plusieurs partis et  organisations de la société civile, et notamment l’association, Auditons les créances envers la Tunisie (Acet). Fondée par des Franco-Tunisiens dès février 2011, un mois après la chute de l’ancien régime de Ben Ali, celle-ci propose la création d’une commission mixte indépendante, composée notamment de quatre experts internationaux, pour évaluer les emprunts contractés par l’ex-dictateur tunisien, pendant ses 23 ans de règne.

Sur les 30,8 milliards de dinars de la dette tunisienne évalués en 2010 par la Banque mondiale depuis 1970, plus de la moitié serait imputable à l’ancien régime.

L’association s’appuie sur une pétition signée en mai 2011 par 120 députés européens pour «réclamer la suspension immédiate du remboursement des créances et la mise en place d’un audit».

 

Marzouki reçu par Hollande sur le perron de l'Elysée

«Cet endettement n’a pas amélioré les conditions de vie de la population et la fortune accumulée par le clan Ben Ali en vingt-trois ans de pouvoir démontre que d’importants détournements ont été effectués avec la complicité de certains créanciers», soulignaient les signataires, dont le socialiste proche de François Hollande, Kader Arif, devenu ministre délégué aux anciens combattants.

Trois mois plus tard, en juillet 2011, le Sénat belge avait également adopté une résolution selon laquelle la Belgique annulerait sa dette bilatérale après audit si elle se révélait «odieuse». Plus récemment, l’Allemagne a décidé de convertir une partie de la dette tunisienne en projet de développement.

 

Séance de travail franco-tunisienne

C’est le geste que la Tunisie attend de la France pour tourner définitivement la page du passé, un passé marqué par un soutien (presque) inconditionnel de l’Elysée à la dictature de Ben Ali.

(Avec agences, Le Monde)

Note :

1 - Dans le droit international, une «dette odieuse» est celle contractée par une dictature et qui doit être remboursée par la transition démocratique. La France étant le premier pays créancier de la Tunisie, la question de l’audit de la dette tunisienne contractée auprès d’elle ne saurait être éludée.