Les Nahdhaouis sont vraiment des gens ingrats. Ils font des misères à Moncef Marzouki, alors qu’ils ne trouvent pas mieux que lui pour assurer leur service après-vente. En France, son plaidoyer pour Ennahdha n’est pas passé inaperçu.

Par Imed Bahri


Les Français, qui ont du mal à se défaire de leur sentiment de culpabilité vis-à-vis des Tunisiens, pour avoir longtemps été cul et chemise avec l’ex-dictateur qui les opprimait, étaient prêts à avaler toutes les couleuvres. Et M. Marzouki leur en a servies à volonté. Sa défense des élans démocratiques du parti islamiste Ennahdha est certes basée sur un argumentaire éculé, mais elle semble avoir fait mouche. Son public ne demandait visiblement qu’à se laisser convaincre. Ou, plutôt, se laisser berner. Comme quoi, on ne se refait pas...

Qui est tombée dans l’escarcelle de l’islamisme?

Pour défendre l’alliance de son parti, le Congrès pour la République (CpR), vaguement de gauche et plus vaguement encore laïc, avec le parti islamiste Ennahdha, dans le discours qu’il a prononcé mercredi devant l’Assemblée nationale française – «un honneur que n’avait reçu aucun dirigeant étranger depuis 2006», répètent à satiété les médias français, comme si cela devait effacer quelque offenses passées! –, le président Marzouki a déclaré: «On me pose souvent la question: est ce que la Tunisie est tombée dans l’escarcelle de l’islamisme? La réponse est non, la Tunisie est tombée dans l’escarcelle de la démocratie», sous les applaudissements des députés français, et particulièrement ceux de gauche.

Osant une comparaison qui ferait sourire beaucoup de Tunisiens, tant elle participe d’une mauvaise foi évidente et démagogique, M. Marzouki a souligné que «de la même façon qu’il existe en Occident des chrétiens-démocrates, il y a et il y aura dans le monde arabe des partis islamo-démocrates dont Ennahdha n’est que le prototype tunisien». Et d’ajouter avec ce ton sentencieux qu’on lui connaît, et qui ne souffre aucune nuance: «C’est la force de la démocratie d’avoir su apprivoiser des forces qui lui étaient au départ hostiles».

Conjuguer islam et démocratie

Marzouki à son arrivée à l'Assemblée nationale française.

Le plaidoyer de Marzouki était d’ailleurs si convaincant que le président socialiste de l’Assemblée nationale française Claude Bartolone a cru devoir assurer, lui aussi, que «l’islam et la démocratie peuvent et doivent se conjuguer». Il a cependant pris la précaution de prévenir que la France resterait «vigilante» sur le respect de «la liberté d’expression et des droits des femmes» en Tunisie. Et des hommes aussi. Car les menaces contre les libertés, qui se multiplient aujourd’hui dans la Tunisie de Marzouki, ciblent aussi bien les femmes que les hommes.

Ce petit bémol sauve l’honneur du pays de Voltaire et de Rousseau. Car, face à l’effusion d’amabilités à laquelle eut droit Marzouki, on a cru voir un moment un remake d’un film déjà vu, mais dont seulement les acteurs ont changé: Marzouki à la place de Ben Ali. La comparaison est certes exagérée, mais le devoir de vigilance – et de respect de la mémoire des martyrs de la révolution – interdit aux Tunisiens de livrer de nouveau leur sort à un pouvoir quel que soit sa légitimité.