Ceux qui s’attendaient à une ouverture de la part du chef du gouvernement pour débloquer la situation politique dans le pays en ont eu pour leur frais. Hamadi Jebali ne lâche rien et déçoit ses détracteurs.


«Le respect de l’échéance des prochaines élections, prévue pour mars 2013, demeure tributaire de l’état d’avancement des travaux de l’Assemblée nationale constituante (Anc) et du parachèvement de la rédaction de la nouvelle constitution», a-t-il affirmé dans l’entretien télévisé diffusé, samedi soir, les chaînes Watania1, Nessma et Hannibal, ainsi que par certaines radios nationales.

L’instance des élections et Kamel Jendoubi

«Le gouvernement s’engage à respecter cette échéance», a affirmé M. Jebali, estimant que, même si la nouvelle Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) tarde à être mise en place, «le déroulement des élections en mars 2013 est possible, étant donné qu’une instance administrative, chargée de préparer au mieux ce scrutin, est d’ores et déjà opérationnelle».

Cependant, M. Jebali s’est montré cassant à l’évocation du nom de Kamel Jendoubi, président très respecté de l’ex-Isie, qui a rendu possible la tenue d’élections transparentes et crédibles le 23 octobre 2011 et la montée d’Ennahdha au pouvoir («C’est le peuple qui a voté», a-t-il répété à deux reprises, sans un seul mot de remerciement pour Jendoubi et son équipe).

«La prochaine instance nationale des élections sera plus indépendante que celle qui l’avait précédé», a même asséné M. Jebali, rejetant d’un revers de la main les critiques adressées à la nouvelle configuration de cette instance telle que présentée par le gouvernement et qui se caractérise par sa dépendance trop criarde de la volonté de la «troïka», la coalition tripartite au pouvoir.

Au détour d’une réponse, M. Jebali a même agité ce qui s’apparente à un avertissement: «Si les constituants ne parviennent à se mettre d’accord sur le nouveau système politique, nous serions obligés de revenir au peuple pour trancher par référendum; ce qui demandera plusieurs mois et donc le report des élections». Dit autrement, cela donnerait à peu près ceci : les élus de l’opposition sont prévenus, s’ils rejettent la proposition des élus de la majorité parlementaire, notamment celle d’Ennahdha, qui opte pour un système parlementaire, ils seraient considérés comme responsables du retard qui s’ensuivrait dans l’agenda de la transition!

Démission de Dimassi et indemnisation des ex-prisonniers d’opinion

Au sujet de la démission de l’ancien ministre des Finances, Houcine Dimassi, le chef du gouvernement provisoire a annoncé que ce dernier lui a fait part auparavant qu’«il ne pouvait plus poursuivre son travail en raison de certains différends avec le conseil des ministres, s’agissant notamment de quatre dossiers, liés aux augmentations salariales, à la poursuite de la compensation  des prix des hydrocarbures, au dossier des ouvriers des chantiers et à l’indemnisation des anciens prisonniers politiques ayant bénéficié de l’amnistie générale».

Sur ce dernier point, qui suscite une vive polémique dans le pays, M. Jebali s’est montré intraitable. Il a souligné que les lois internationales stipulent la réparation des préjudices physique et moral, et que la première décision prise après la révolution consistait à indemniser tout bénéficiaire de l’amnistie générale et lui permettre de rejoindre son poste de travail, et ce, conformément aux dispositions du décret-loi n°1 relatif à l’amnistie générale.

«L’indemnisation ne profitera pas à un seul parti», a-t-il dit, feignant d’oublier que l’écrasante majorité des bénéficiaires des indemnisations seront des militants de son parti Ennahdha. M. Jebali a ajouté que «la mobilisation des enveloppes nécessaires à cette fin est ouverte et n’est pas uniquement du ressort de l’Etat», sans donner plus de précisions sur les éventuels donateurs.

Pas de conflit avec la centrale syndicale

Evoquant la relation assez problématique du gouvernement avec l’Union générale tunisienne du travail (Ugtt), le chef du gouvernement a fait observer que «l’avenir de la Tunisie ne saurait être envisagé dans le cadre d’un conflit entre le gouvernement et la Centrale syndicale», indiquant que son gouvernement avait accueilli favorablement l’initiative de l’Ugtt pour assainir la situation politique, mais que «des événements sont survenus pour paralyser le processus de dialogue engagé par le gouvernement», exprimant la détermination de relancer ce processus.

Pour ce qui est des incidents qui ont eu à l’hôpital Hédi Chaker à Sfax, où quatre syndicalistes ont été arrêtés et sony poursuivis en justice, le chef du gouvernement provisoire a relevé que cet établissement «a été depuis quelques mois sous le contrôle d’un groupe de syndicalistes et d’autres personnes», ce qui a entravé le bon déroulement de ses activités, ajoutant sur un ton menaçant: «Nous n’accepterons pas ces agissements illégaux et il est impératif d’appliquer la loi quelle que soit l’appartenance de leurs auteurs de ces agissements».

En réponse à une question relative à l’intervention du gouvernement sur demande de l’Ugtt pour la libération des quatre syndicalistes poursuivis judiciairement, M. Jebali a affirmé que «le gouvernement n’est pas intervenu et n’interviendra pas dans les affaires de la justice qui doit impérativement prendre son cours».

M. Jebali a, par ailleurs, annoncé qu’une commission neutre et indépendante sera mise sur pied pour examiner la véracité des informations faisant état de la torture de certains parmi les interpellés, indiquant que «dans le cas où ces informations venaient à être attestées, leurs auteurs seront sans nul doute sanctionnés».

Les promesses de relance économique

Sur un autre plan, M. Jebali a considéré les informations avancées dans le rapport du Fonds monétaire international (Fmi), rendu public vendredi, «comme étant une preuve de la capacité de la Tunisie à réaliser un taux de croissance supérieur à 6% durant les années à venir». Il a ajouté que le rapport est venu confirmer l’aptitude de la Tunisie à surmonter les obstacles économiques et à mettre en exécution des plans de développement «propres à faire sortir le pays de la stagnation et à l’aider à résorber le chômage». M. Jebali a cependant omis de préciser que le rapport du Fmi conditionne ses prévisions favorables à moyen pour la Tunisie par la capacité de son gouvernement à mettre en route les réformes nécessaires pour relancer l’économie, calmer la grogne sociale, préserver les équilibres financiers et budgétaires et attirer les investissements étrangers.

M. Jebali a indiqué que le nombre de sociétés confisquées a dépassé 116. Certaines d’entre elles seront cédées au privé, celle dont on peut attendre de bonnes entrées pour l’Etat. Une liste exhaustive de ces sociétés sera publiée prochainement, a-t-il ajouté.

Le chef du gouvernement a mis l’accent sur la nécessité de régler dans les meilleurs délais le dossier des hommes d’affaires interdits de voyager, en raison de son impact sur l’économie tunisienne, notamment sur l’emploi.

«Ces hommes d’affaires devraient reconnaître leurs erreurs et lancer des projets de développement dans les régions», a-t-il recommandé, sans indiquer si un mécanisme permettant de telles procédures a été mis en place par son gouvernement.

La saleté est une responsabilité collective

Au sujet du dossiers des délégations spéciales, qui ont remplacé les municipalités dissoutes au lendemain de la révolution, M. Jebali a fait savoir que bon nombre d’entre elles ont vu leurs activités «gelées» en raison de leur incapacité à honorer leurs engagements, eu égard de leurs ressources limitées, ce qui a eu pour conséquences l’accumulation des déchets ménagers dans les rues.

«La situation actuelle est intolérable et la responsabilité incombe aussi bien aux autorités qu’aux délégations spéciales et aux citoyens», a-t-il affirmé.

Après avoir nié l’enregistrement de cas de choléra, M. Jebali a abordé les ruptures d’approvisionnement en électricité et en eaux potable dans certaines régions, les imputant à des erreurs purement techniques, dont en particulier la panne de trois centrales électriques, le 9 juillet dernier, en raison de la hausse de la consommation d’électricité à cause de la vague de chaleur.

Une enquête sera ouverte pour déterminer les causes de cette crise, a-t-il dit, annonçant l’aménagement prochain de nouveaux barrages et de réservoirs pour consolider la capacité de production d’eau.

I. B. (avec Tap).