Ennahdha organise ce soir son dîner d’iftar annuel à l’hôtel Golden Tulip à Gammarth. Il va falloir compter, parmi les convives, les «azlem», «mounachidine» et autres serviteurs de Ben Ali recyclés par le parti islamiste.
Par Ridha Kéfi
Ennahdha, contrairement à ce que disent ses dirigeants, aime les «azlem» (rescapés de l’ancien régime), les «mounachidine» (qualificatif donné à ceux qui, en 2009, avaient appelé publiquement Ben Ali à se représenter à la présidentielle de… 2014) et les propagandistes et serviteurs zélés de l’ancien régime. Et pour cause: elle les tient tous par des dossiers de corruption ou autres malversations. Aussi, et au lieu de les faire juger pour tout le mal qu’ils ont fait au peuple tunisien, le parti islamiste fait pression sur eux et, par un vil marchandage, obtient leur coopération avec son projet de dictature religieuse.
Ennahdha et Rcd c’est kif kif
Comme il s’agit, dans la plupart du temps, d’individus sans scrupules et sans principes, prêts à servir n’importe quelle partie du moment qu’ils y trouvent leurs comptes, et qui considèrent qu’Ennahdha et Rcd c’est kif kif, du pareil au même, il n’y a aucune difficulté à les recruter et à les mobiliser. Les devises de ces girouettes professionnelles, on les connaît, ce sont ces adages bien tunisiens: «Allah younsor min sbah» (Dieu est avec les gagnants), «Eddinya maa el waqef» (Le monde appartient aux gens debout) «Idha rit el-bey rakeb âla forka, qollou mabrouk hal-hassan» (Si vous voyez le bey monter sur un bâton, félicitez-le pour son beau cheval !), etc. Les mêmes devises qui ont justifié, à leurs yeux, la servilité au service de Ben Ali.
Dans le domaine des médias, pour en rester là, les gens d’Ennahdha ne cessent de se plaindre hypocritement sur les plateaux des télévisions des méfaits de la «sahafa safra» (les journeaux jaunes) ou «sahafat al-majari» (la presse de caniveau).
En fait, les journaux de ce type, qui existaient sous Ben Ali et qui se spécialisaient dans la diffamation des opposants au dictateur, ont prospéré depuis qu’Ennahdha est au pouvoir. Et ce sont les mêmes «plumitifs» qui, hier encore, louaient leurs plumes empoisonnés à Ben Ali – et qui étaient pour la plupart des informateurs de la police politique – s’acharnent, aujourd’hui, avec la même verve assassine, sur les opposants à Ennahdha.
Ennahdha blanchit les listes noires
On comprend dès lors pourquoi Ali Lârayedh, ministre de l’Intérieur, et Lotfi Zitoun, conseiller politique du gouvernement en charge du dossier de l’information – le Abdelwaheb Abdallah du nouveau régime –, refusent de faire publier la liste noire des journalistes qui faisaient des rapports quasi-quotidiens sur leurs collègues à la police politique de Ben Ali, liste que seul le ministère de l’Intérieur est capable de fournir sinon à l’opinion publique, du moins à la justice. Mais qu’il refuse de faire…
En fait, Ennahdha veut, aujourd’hui, utiliser ces mêmes éléments pour asseoir sa propre dictature. Et les premiers signes concrets de cette politique sont déjà perceptibles, à travers la nomination à la tête de certains médias publics ou semi-publics d’éléments connus pour avoir été plus flics que journalistes et dont l’œuvre au service du «makhloû» (déchu) sont connus de toute la profession.
Pis encore: le nouveau régime recourt aux mêmes pratiques de l’ancien. Exemple: il fait publier des CV complètement bidonnés de ses nouveaux promus, où les œuvres benaliennes de ces derniers sont transformées, par un coup de baguette nahdhaouie, en des actes de militantisme contre Ben Ali! Même l’ex-dictateur, qui est, on le sait, un très mauvais musulman, n’a pas osé verser dans autant de falsification et de mensonge!
Et nous ne sommes qu’au début d’un «âhd jadid» (nouvelle ère), qui nous rappelle tellement un autre avec lequel nous croyions, sans doute à tort, avoir définitivement rompu un certain 14 janvier 2011.