Le principe de la «complémentarité de la femme avec l’homme» défendu par les islamistes fait craindre aux femmes tunisiennes un recul monumental par rapport au Code du statut personnel (Csp) édicté en 1956.
Par Wahid Chedly
La célébration du 56e anniversaire de la promulgation du Csp, le lundi 13 août, prendra cette année une tonalité particulièrement militante… C’est, du moins ce qui ressort du programme des festivités concocté par des associations féministes et des organisations de défense des droits humains.
Célébration du 56e anniversaire du Code du statut personnel
Dévoilé au cours d’une conférence de presse organisée vendredi à Tunis par l’Association tunisienne des femmes démocrates (Atfd), l’Association des femmes tunisiennes pour la recherche sur le développement (Afturd) et la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’homme (Ltdh), ce programme comprend notamment des table-rondes sur le Csp, des conférences-débats sur les perspectives des droits de la femme, des projections de films documentaires sur les luttes des femmes tunisiennes dans tous les domaines et des expositions sur le parcours du penseur réformateur et féministe Tahar Haddad.
Abdessattar Ben Moussa (Ltdh).
Des pièces de théâtre célébrant le rôle des femmes dans la construction de la Tunisie moderne et des concerts assurés par la chanteuse engagée Amel Mathlouthi et des groupes de rap sont également prévus.
Le point d’orgue des festivités sera l’organisation d’une marche pour les droits des femmes, le 13 août à 21 heures, de l’Avenue Habib Bourguiba à la Place des Droits de l’Homme, sur l’avenue Mohamed V.
Pour cette manifestation, la mobilisation s’annonce forte. D’autant plus la célébration du 56e anniversaire du Csp se déroule cette année dans un climat général caractérisé par un regain de tensions sociales et par des tentations liberticides affichées par le triumvirat au pouvoir.
Ahlem Belhadj (Atfd).
Le ministère de l’Intérieur impose ses diktats
L’ambiance s’annonce aussi tendue puisque que le ministère de l’Intérieur n’a pas autorisé cette manifestation, proposant aux défenseurs de défiler sur l’Avenue Mohamed V. «Nous nous attachons à l’organisation de la manifestation sur l’Avenue Habib Bourguiba, qui a une portée symbolique (Bourguiba a été l’initiateur du Csp, Ndlr)», souligne Ahlem Belhadj, présidente de l’Atfd.
De son côté, le président de la Ltdh, Me Abdessattar Ben Moussa, a fait savoir que les raisons avancées par le ministère de l’Intérieur pour justifier l’interdiction de l’organisation à l’Avenue Habib Bourguiba sont peu convaincantes. «Les autorités estiment que la manifestation risque de gêner l’activité économique qui se consolide à l’approche de l’Aïd et les familles qui font leurs emplettes. Or, la principale avenue de Tunis ne compte que très peu de boutiques de prêt-à-porter», a-t-il indiqué.
Me Ben moussa également fait remarquer que les espoirs qu’avait fait naître la révolution, à savoir l’égalité, la liberté, la dignité et la démocratie commencent à s’évaporer. «Le ministère de l’Intérieur interdit de nouveau l’organisation de marches pacifiques alors que des syndicalistes ont été torturés à Sfax. Dans le projet de la constitution en cours d’élaboration, on stipule que le droit de la vie est sacré mais on indique que seule la justice peut remettre en question ce droit à la vie en prononçant des peines de mort», s’est-il inquiété.
Fière d'être une Tunisienne et… libre.
Le principe de l’égalité des sexes remis en question
Les associations de défense des droits de l’Homme estiment, par ailleurs, que de lourdes menaces pèsent sur les droits de la femme tunisienne ainsi que sur les libertés en général. «Une nouvelle dictature qui se base sur une Constitution ainsi que sur des lois liberticides s’installe peu à peu. Des restrictions pèsent sur les libertés au nom du respect des bonnes mœurs, des valeurs sacrées et de l’ordre public. L’adoption par la commission des droits et des libertés à l’Assemblée nationale constituante (Anc) d’un article stipulant que la protection des droits des femmes et de leurs acquis est soumise au principe de complémentarité avec l’homme au sein de la famille est un revirement total par rapport aux promesses faites au cours de la campagne électorale par tous les courants politiques, dont le mouvement islamiste Ennahdha», a affirmé Radhia Belhadj Zekri, présidente de l’Afturd.
Mme Belhadj Zekri a également déclaré que «les positions prises par des représentants peuple et dont le seul but est la remise en cause du principe de l’égalité entre les sexes constituent un recul monumental par rapport au Csp, qui est un ensemble de lois très libérales pour un pays arabo-musulman qui ont banni la polygamie, ouvert la voie à l’instruction obligatoire des filles, à la contraception, à la liberté de choix du conjoint et introduit le mariage civil et le divorce judiciaire.»
Pour sa part, la présidente de l’Atfd a jugé le principe de la complémentarité de la femme avec l’homme «très dangereux» dans la mesure où il peut favoriser plusieurs interprétations qui risquent de remettre en question les acquis de la femme tunisienne.
«L’article adopté par commission des droits et des libertés à l’Assemblée constituante pourrait ouvrir la porte à la remise en question du droit de la femme au travail puisque la complémentarité pourrait être interprétée dans ce domaine par le travail de la femme à l’intérieur de la maison et de l’homme en dehors du foyer familial. L’article en question peu aussi ouvrir la porte à la remise en question de la monogamie», a-t-elle précisé, tout en réclamant la constitutionnalisation des droits des femmes tunisiennes et à l’adoption de la Convention internationale de lutte contre toutes les formes de discrimination contre la femme (Cedaw).