Si Jebali, Marzouki et Ben Jaâfar, et leurs partis respectifs, qui constituent la coalition au pouvoir, sont attachés à la préservation des droits des femmes, pourquoi les Tunisiennes craignent-elles tant pour leurs droits?


 

La question mérite d’être posée, après les déclarations consensuelles et vaguement rassurantes des responsables de la «troïka», la coalition au pouvoir, à l’occasion de la commémoration du 13 Août, fête nationale de la femme, qui coïncide avec l’anniversaire de la promulgation en 1956 du Code du statut personnel (Csp), abolissant la répudiation et la polygamie.

Jebali attaché aux acquis de la femme

Ainsi, donc, le chef du gouvernement provisoire, le dirigeant islamiste Hamadi Jebali, a  affirmé, lundi, que la question de l’égalité entre l’homme et la femme est une «affaire tranchée», ajoutant qu’il «n’est pas convenable d’en faire un enjeu politique».

Dans une déclaration aux médias en marge de la cérémonie de distribution de prix de la Ligue des associations coraniques, M. Jebali a cru devoir réaffirmer «son soutien aux acquis de la femme et particulièrement le Code du statut personnel».

Le président de la république provisoire Moncef Marzouki y allé, lui aussi, de sa petite chanson féministe, en estimant que le Csp est un acquis appelé à être préservé et consolidé.

«Aujourd’hui, personne ne peut menacer les acquis de la femme qui sont devenus, grâce à l’action militante de plusieurs générations, une réalité sociale irréversible qui ne peut faire l’objet de contestation ou de surenchère par quiconque», a affirmé le président Marzouki.

Prenant part à une rencontre organisée, dimanche soir, à Kobbet Ennhas à la Manouba, à l'occasion de la célébration de la fête de la femme, le président de la république provisoire s’est dit favorable à l’inscription du principe de l’égalité totale entre les hommes et les femmes dans la prochaine Constitution.

Le Forum démocratique pour les libertés et le travail (Ettakatol), autre membre de la «troïka», a affirmé, pour sa part, dans un communiqué publié à l’occasion de la fête nationale de la femme, son «attachement total» au principe de l’égalité entre les femmes et les hommes, soulignant son engagement à inscrire ce principe dans la future constitution. Cette position a d’ailleurs été affirmée à plusieurs reprises par Mustapha Ben Jaâfar, président de l’Assemblée nationale constituante (Anc) et leader de ce parti de centre-gauche.

Les élans «féministes» d’Ennahdha

Par la même occasion, le mouvement islamiste Ennahdha s’est découvert lui aussi des élans féministes qu’on ne lui soupçonnait pas. Dans un communiqué rendu public à l'occasion de la fête de la femme, le parti de Rached Ghannouchi a ainsi affirmé, lundi, que la consolidation des acquis de la femme n’est pas «un slogan que certains cherchent à spéculer» (coup de pied de l’âne en direction des forces progressistes, libérales et de gauche) mais plutôt «un effort quotidien en vue de surmonter les entraves culturelles et sociétales». Traduire : l’égalité des sexes n’est jamais acquise définitivement, car elle doit triompher des résistances «culturelles et sociétales», auxquelles ce parti n’est sans doute pas très étranger.

Ennahdha a précisé, par ailleurs, que le renforcement des acquis de la femme et la consécration de l’égalité entre les Tunisiens, dont l’égalité entre hommes et femmes en matière de droits et de devoirs, constituent autant de dénominateurs communs entre la population à mettre en relief en vue d’enraciner les valeurs de la paix sociale et éviter les conflits idéologiques.

Le parti islamiste a ajouté que la contribution d’Ennahdha à la promotion de la situation de la femme et au renforcement de ses acquis «ne s’est pas limitée à l’innovation sur le plan intellectuel et à la diffusion des valeurs de l’efficacité mais s’est étendue à la consécration de ces principes dans la pratique au sein des structures du mouvement, de la société civile et des institutions de l'Etat (Assemblée nationale constituante)».

Le parti rappelle, dans son communiqué, sa position officielle vis-à-vis du Code du statut personnel, une position annoncée en juillet 1988 et qui considère que «ce code s’inscrit, généralement, dans le cadre des interprétations islamiques».

Enfin, le parti de Rached Ghannouchi estime que bien que toute polémique politique représente «un bon signe de la santé d’une société en transition et en cours d’édification», la polémique actuelle autour de la place de la femme dans la société et autour de l’inscription de ses droits dans la nouvelle constitution fait objet de beaucoup «de confusion, voire même de provocation et d’exagération».

D’où vient la confusion?

En fait s’il y a confusion autour de cette question et si cette confusion alimente les inquiétudes de pans entiers de la société tunisienne, et notamment des femmes craignant pour la pérennité de leurs droits et acquis, c’est parce que les dirigeants d’Ennahdha et leurs apparentés multiplient les actes et les paroles qui appellent à revenir à une application textuelle de la chariâ islamique, notamment en ce qui concerne le statut de la femme.

Les manœuvres des élus d’Ennahdha à la Constituante visant à minorer les droits des femmes dans la constitution ne traduisent pas, non plus, un grand attachement au Code du statut personnel (Csp). Ni, d’ailleurs, les critiques récurrentes de ces mêmes dirigeants (y compris Rached Ghannouchi lui-même) à l’encontre de Habib Bourguiba, coupable à leurs yeux d’avoir (trop) émancipé la femme.

C’est donc aux islamistes de tenir un seul discours clair et précis, de cesser de dire la chose et son contraire et d’entretenir ainsi la confusion dans l’esprit des Tunisiens.

Z. A.