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Malgré les avantages démocratiques réels, la Tunisie fait face à trois défis majeurs: l’emploi, notamment des jeunes diplômés, les inégalités régionales de développement, et la corruption encore vivace.

Par Maya L.


Vingt mois après avoir initié le printemps arabe, la Tunisie peut encore se targuer d’une transition réussie. L’ancien régime, symbole d’injustice et de népotisme, n’est plus et les avantages démocratiques sont perceptibles malgré certaines défaillances. Mais les difficultés sociales et économiques, amples et redoutables, menacent de freiner ces progrès. Trois défis demeurent de taille: l’emploi, notamment des jeunes diplômés, les inégalités régionales de développement, et la corruption encore vivace en Tunisie.

Eviter les conflits sociaux déstabilisants

Si le gouvernement tripartite, conduit par le mouvement islamiste Ennahdha est loin de les ignorer, il peine cependant à les relever rapidement et échoue à contenir l’impatience des travailleurs et des jeunes chômeurs, qui, à travers le pays, s’attendent à récolter les fruits de leur participation au soulèvement.

Ainsi, répondre aux violences à caractère social, lutter efficacement contre le développement anarchique de l’économie souterraine, y compris la contrebande, réagir aux urgences socio-économiques en contournant les blocages administratifs et poursuivre la démocratisation au niveau régional et local sont les principaux chantiers auquel le gouvernement islamiste de Hamadi Jebali doit s’atteler s’il compte éviter les conflits sociaux potentiellement déstabilisants.

Malgré une conjoncture économique mondiale difficile et une révolution destructrice sur le plan matériel, les institutions étatiques et la société civile ont tenu le coup. Les institutions financières fonctionnent, les entreprises travaillent, et le secteur touristique, bien que très affaibli, se relève tant bien que mal.

Cependant, les problèmes économiques et sociaux qui ont poussé les citoyens à se soulever il y a plus d’un an et demi sont loin d’avoir été résolus. Depuis les élections d’octobre 2011, si une partie de la population vit un désenchantement paisible, l’autre n’en finit pas de se mobiliser entre islamistes et laïcs, les intérêts professionnels et syndicaux et les ressentiments ordinaires qui la cantonnent parfois dans une logique du chacun pour soi.

Marge de manœuvre très restreinte du gouvernement

Si les précédents gouvernements intérimaires ont réussi à maintenir une certaine paix sociale grâce à des mesures d’urgence, le gouvernement Jebali a hérité d’une situation économique inquiétante, qui augmente chaque jour le risque de conflits sociaux, voire une déstabilisation de la «troïka», la coalition tripartite au pouvoir. De même, il conduit un Etat anémié dans les régions de l’intérieur, lequel ne parvient guère à freiner la corruption, la réorganisation violente des rapports de force au niveau local, la croissance importante du secteur informel et la prolifération des activités de contrebande qui contribuent à l’augmentation du coût de la vie.

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Sans développement des régions, il n'y aura pas de stabilité dans le pays.

Malgré l’optimisme affiché du Premier ministre, ces difficultés sont patentes et la marge de manœuvre du gouvernement très restreinte. En témoigne l’inertie administrative qui bloque les projets, de même que le foisonnement des sit-in et des mouvements revendicatifs de tout ordre qui semblent l’atteindre dans sa légitimité en retardant le retour à une vie économique apaisée.

Le défi du gouvernement est de taille: rétablir la stabilité sociale, conduire la transition et rassurer des populations locales qui mesurent les progrès accomplis à l’aune de l’amélioration de leurs conditions matérielles, le tout dans un contexte politique polarisé.

En effet, la coalition tripartite au pouvoir, plus communément appelée la «troïka», est vivement critiquée par une opposition à la fois parlementaire et extraparlementaire séculière et contesté par un courant islamiste intransigeant, qui sous les apparences du salafisme, pourrait radicaliser une partie des laissés pour compte.

L’absence de progrès à court terme, l’impatience qui gronde, est à même de prendre plusieurs formes. Les relations économiques et politiques sur le plan local semblent se restructurer de manière plus ou moins opaque alors même que les pouvoirs publics ne l’ont pas rétabli dans certaines régions. Au contraire, celui-ci semble parfois marcher sur un pied depuis la dissolution de l’ancien parti au pouvoir à savoir le Rassemblement constitutionnel démocratique (Rcd). La corruption perdure et suscite mécontentements et indignations.

Surmonter les obstacles administratifs

Dans cette nouvelle phase de transition, le gouvernement devrait donner la priorité à la création d’emploi pour les jeunes diplômés, au développement régional et au soutien actif à ceux qui participent au secteur informel. Une des clés du succès résidera sans aucun doute dans la mise en œuvre d’une approche de consultation et de dialogue large.

Par ailleurs, la marge de manœuvre du gouvernement islamiste consistera à s’atteler à mettre en application des méthodes d’urgence afin de surmonter les obstacles administratifs freinant les projets relatifs à l’emploi des jeunes diplômés et au développement régional, par exemple en chargeant une commission de crise bénéficiant de l’autorité nécessaire pour débloquer ces projets dans les plus brefs délais; mettre sur pieds des comités d’investigation et d’action composés de forces sécuritaires et de médiateurs locaux afin de répondre d’une part aux conflits violents, notamment dans le bassin minier, et d’autre part d’enquêter sur les activités du secteur informel, à l’intérieur du pays et les régions frontalières; soutenir financièrement les associations de développement régional et local, notamment celles composées de diplômés chômeurs; créer de nouveaux mécanismes de consultation au niveau local permettant aux citoyens de s’exprimer sur les mesures économiques et sociales; faciliter la transition de l’économie souterraine au secteur formel, y compris en simplifiant les procédures requises pour démarrer une petite entreprise; enfin, mettre sur l’agenda constitutionnel la question de la décentralisation politique et économique: redécoupage régional, création de collectivités régionales et élection de leurs représentants, mise en place du budgets autonomes importants pour les régions.