altParce que les députés d’Ennahdha cherchent à «renier la citoyenneté pleine et entière des femmes dans la nouvelle constitution», des militants associatifs exigent le statut d’observateurs à l’Assemblée nationale constituante (Anc).


Les représentants de l’Association tunisienne des femmes démocrates (Atfd), l’Association des femmes pour la recherche et le développement (Afturd) et de la Ligue tunisienne des droits de l’homme (Ltdh), réunie lors d’une rencontre-débat, le 15 août à Tunis, ont également exigé le droit s’assister aux travaux de la commission de rédaction de la future constitution et plaidé pour la constitutionnalisation des principes d’égalité, de non-discrimination et de droits universels des femmes.

Pas de discrimination sur la base du sexe

Le débat s’est axé sur l’article 22 de l’avant-projet de la nouvelle constitution, qui énonce le principe d’«égalité» entre les citoyens et l’article 28 qui évoque la notion de «complémentarité» entre la femme et l’homme.

La professeure de droit à l’Université de Tunis, Hafidha Chekir, estime que la notion «vague» d’«égalité» telle qu’énoncée dans l’article 22 se limite à «l’évocation de l’égalité entre les citoyens dans les droits et les devoirs sans aucune forme de distinction», en omettant de spécifier qu’il «ne peut y avoir de discrimination sur la base du sexe». Elle note également l’absence, dans l’avant-projet de la constitution, de la dimension des droits humains des femmes dans leur universalité, leur globalité et leur indivisibilité.

Pour sa part, l’ex-présidente de l’Atfd et professeure de droit, Sana Ben Achour, a noté que l’article 28 de la future constitution énonçant que «l’Etat assure la protection des droits de la femme sous le principe de complémentarité avec l’homme au sein de la famille en tant qu’associée de l’homme dans le développement de la patrie» comporte «des propos vagues, sans valeur juridique et se réfère à des stéréotypes et des traditions consacrant la répartition des rôles entre hommes et femmes». Cet article «dénie délibérément la citoyenneté pleine et entière des femmes», déplore-t-elle. Il ne mentionne pas non plus l’attachement aux valeurs universelles des droits de l’homme et aux conventions y afférentes.

La militante associative Saida Garrach, considère, pour sa part, que l’article 28 vise à «réduire le champ d’application de l’article 22». Pour elle, la notion de «complémentarité» est lancée pour effacer celle d’«égalité».

L’élue d’Ennahdha, l’avocate Latifa Hannachi, invitée à la rencontre-débat, appelle à la nécessité d’«éviter les préjugés prétextant des menaces qui pèsent sur les droits de la femme». «Les articles de la future constitution doivent être considérés dans leur ensemble», a-t-elle estimé, ajoutant que la notion d’égalité est énoncée dans l'article 6 du Préambule (Principes généraux).

La députée islamiste concède toutefois la nécessité d’introduire la qualité de «citoyennes et citoyens» dans l’article 22 qui évoque seulement les «citoyens» de façon générale. Une omission mentionnée par plusieurs intervenantes dans le débat. L’avocate relève l’«ambiguïté» créée par la notion de «complémentarité» mais assure que l’essentiel est de parvenir à un consensus autour de l’idée que la constitution doit avoir une valeur juridique claire et précise et une approche globale des droits individuels et collectifs. Cependant, «le texte de la constitution doit concilier entre les conventions internationales et les spécificités de notre environnement social», a-t-elle conclu.

Citoyennes ou personnes à statut différencié?

L’article 21 du projet de la constitution (chapitre des droits et libertés) qui stipule que «l’Etat garantit les droits de la famille, cellule naturelle et essentielle dans la société» est vivement critiqué. Bien qu’il comporte la notion «d’égalité entre époux au sein de la famille», la définition de «famille» demeure abstraite et n’a pas une valeur juridique. Il aurait mieux valu spécifier le «droit de l’individu à une vie de famille», propose Sana Ben Achour. Car, seules les constitutions «fascistes» définissent la notion de famille; on ne retrouve aucune mention de ce genre dans les constitutions démocratiques, fait-elle remarquer.

La mention, dans l’article 21, selon laquelle «l’Etat veille à réunir les conditions propices au mariage» est également très critiquée. Selon la lecture proposée, l’Etat doit garantir à toute personne, sur la base de l'égalité, le droit à une vie de famille.

Souhayr Belhassen, présidente de la Fédération internationale des droits de l’homme (Fidh), pense qu’il est important de donner des réponses au projet de la constitution. Pour elle, celle-ci ne devrait pas reposer sur les concepts du sacré ou sur des notions sociologiques. Elle doit, selon elle, se baser sur le respect des droits humains en général et bien évidemment des droits de la femme; «ce qui est souvent oublié dans les articles du projet de la constitution».

La société civile doit se mobiliser pour lutter contre les interprétations dangereuses, lever toutes les ambiguïtés et écarter les menaces qui pèsent sur les droits des femmes, souligne-t-elle.

La représente de la Ltdh, Halima Jouini, regrette le manque d’intérêt, y compris au sein de la société civile, pour les droits économiques et sociaux en tant que partie intégrante des droits humains, appelant à inscrire dans la constitution le droit au travail, à l’enseignement public gratuit et unifié et à la neutralité des institutions éducatives. Elle propose également d’incriminer l’exploitation et le travail des enfants.

En conclusion, les participants ont été unanimes à exiger la constitutionnalisation des droits humains des femmes et l’attachement au principe selon lequel ces droits «constituent une entité indivisible et non susceptible de restriction» et «doivent être considérés dans leurs universalité, globalité et unité».

I. B. (avec Tap).