Une association d’expatriés tunisiens dans l’Hexagone tente de s’impliquer (et d’impliquer ses membres) dans le débat national en cette période transitoire incertaine et instable.
Par Samantha Ben-Rehouma
La plus grande communauté de Tunisiens résidant à l’étranger est en France (environ 600.000). Ce sont ces mêmes résidents qui, lors des élections du 23 octobre, ont choisi majoritairement un parti religieux c’est -à-dire entre 32 et 35% des voix, peut-être convaincus (alors) que le meilleur moyen de se débarrasser des reliquats du passé était de mettre en place un régime n’ayant eu aucune connivence avec Ben Ali, d’où le choix d’Ennahdha!
Toutefois – et si notre mémoire ne fait pas défaut –, ce régime n’a pas participé à la révolution qui a chassé le dictateur…
Vous avez demandé Ennahdha, ne quittez pas…
L’association La voix des Tunisiens en France, qui a vu le jour à Nice grâce à son président très actif Riadh Jaïdane, avec ses bureaux à Grenoble, Marseille, Toulouse, Lyon, Paris, et prochainement à Strasbourg, avait réuni 3.200 voix lors des élections d’octobre 2011, et ce, afin que les revendications des Tunisiens en France soient prises en considération dans la rédaction de la constitution.
«Notre association, présente aux dernières élections de l’Assemblée nationale constituante (Anc), a multiplié, depuis sa création au lendemain de notre révolution, les actions afin de réfléchir sur l’avenir de notre pays, la Tunisie», souligne Riadh Jaïdane. Il ajoute: «Nous avons eu des contacts cet été en Tunisie avec certains partis politiques dont nous partageons les valeurs d’une société moderne et libre ainsi qu’un Etat civil et démocratique attaché aux valeurs universelles des droits de l’homme et garant de la liberté, de la tolérance et de la justice sociale et dans lequel les Tunisiens de l’étranger occupent une place importante dans tous les domaines… Certes, si l’envie grandissante voire pressante de constitutionnaliser les droits de ces derniers (égalité parfaite entre les citoyens à l’étranger et au pays, solution pour nos enfants émigrés clandestins, etc.) force est de constater que rien n’a été fait! Pis, l’agression à Bizerte d’un Tuniso-français remet en cause la politique menée car en matière de gouvernance, l’échec est patent!»
Tous pour un et Dieu pour tous !
Riadh Jaïdane: "Les partis sont indifférents aux Tunisiens à l'étranger".
M. Jaïdane reproche aux partis leur indifférence. «Malgré des invitations envoyées à plusieurs d’entre eux à venir participer aux réunions de la Voix des Tunisiens de France pour débattre et connaitre nos objectifs, personne ne répond présent», déplore M. Jaïdane. Il enchaîne: «A croire que tout ce qui importe, c’est le siège!! Hé oui, les Tunisiens de France doivent comprendre – et le plus tôt le mieux – qu’en Tunisie les passions aveuglent les décideurs et le ‘‘Golfe’’ est devenu sport national!»
Le président de La voix des Tunisiens en France estime qu’«à la veille de l’anniversaire des élections du 23 octobre, la situation est catastrophique (mais pas désespérée?) : pas de calendrier électoral, pas d’instance indépendante des élections, pas d’instances indépendantes de la magistrature ni des médias, pas d’instance de justice transitionnelle, et, last but not least, toujours pas de constitution!!»
M. Jaïdane revient sur un thème assez polémique en Tunisie, parce qu’entourée de malentendus : la laïcité.
«Rends à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu»
Vue de la conférence de presse.
«Être laïque ne veut pas dire forcément qu’on ne croit pas en Dieu, mais que l’on souhaite faire la distinction entre le spirituel et le temporel», explique le militant associatif. Il explique: «Dans la plupart des pays occidentaux, des gens ne sont pas des fondamentalistes et acceptent que l’espace public reste neutre. La laïcité n’est pas forcément une exception européenne. Et l’anticléricalisme a pris des formes parfois très violentes dans des pays comme l’Espagne... ou au Mexique. En Allemagne ou en Italie, on ne décroche pas forcément les crucifix des murs, mais les gens ne sont pas forcément des grenouilles de bénitier... Autant que je sache, si quelqu’un ne respecte pas le carême ou mange du poisson le vendredi, il ne sera pas jeté en prison pour ça... Par contre, dans tout le Maghreb, et plus particulièrement en Tunisie, des gens sont arrêtés et condamnés sans que l’on sache pourquoi… Pas de lois, la morale religieuse est faite pour ça! Transition ne veut pas dire carte blanche que je sache ! Bref, en Europe, la religiosité relève surtout du privé, tandis qu’en Tunisie la religion veut conditionner toute la société... et c’est incompréhensible pour un Tunisien, qu’il soit français ou non!»