Quelques dizaines de personnes ont observé, mercredi 12 septembre, un sit-in devant l’ambassade de Tunisie à Paris, pour protester contre la politique de migration de la Tunisie et de l’Union européenne. Vidéo.
Par Marie-Jeanne Kimberley, à Paris
Les manifestants répondaient à l’appel lancé par des associations de Tunisiens de France* suite au naufrage, la semaine dernière, au large de l’île italienne de Lampedusa d’une embarcation de fortune transportant 136 Tunisiens et Tunisiennes, victimes de l’immigration clandestine, en direction de l’Europe.
Le communiqué adressé à la presse, le dimanche 9 septembre, impute la responsabilité de cette catastrophe au gouvernement tunisien ainsi qu’à l’Union européenne (UE), dont la politique d’immigration ne cesse de se durcir.
Le gouvernement trinque, la jeunesse boit la tasse
Une citoyenne tunisienne présente réclame la parole et lance ce cri de colère: «Ce gouvernement a échoué. Quelle est la vision, au bout d’un an, qu’il a donné à ces mères qui ont mis leurs enfants dans des bateaux? Quelle mission s’est-il donné? Fermer les cafés cet été pendant le ramadan? Qui a bu la tasse?»
L’indécence flagrante des mariages collectifs célébrés, le samedi 9 septembre, est évidemment aussi pointée du doigt par tous. Alors que les familles des victimes, soutenues par la nation entière, portaient le deuil des disparus dans la nuit du 6 au 7 septembre, le gouvernement préférait festoyer.
La réaction extrêmement tardive du chef du gouvernement Hamadi Jebali, lundi 10 septembre, soit plusieurs jours après le drame, par un communiqué dans lequel il présentait ses condoléances aux familles des naufragés, a été vécue comme une insulte à tout le peuple tunisien.
Mobilisation citoyenne contre la politique européenne de l'immigration .
Hédi Sraieb, du parti El Massar (centre-gauche), a jugé cette réaction tardive «proprement inacceptable» et demandé au gouvernement «de poursuivre et arrêter tous les acteurs de cette chaine du drame et de l’horreur (passeurs, complicités diverses locaux et à l’étranger)».
Avec un taux de chômage s’élevant à 17,6% en moyenne nationale au terme du second trimestre 2012 – et qui dépasse le double dans certaines régions de l’ouest et du sud – et des conditions économiques et sociales qui se dégradent, la jeunesse tunisienne, portée par l’énergie du désespoir, cherche dans l’immigration clandestine une solution à ses problèmes, au risque de s’abimer en mer.
Les associations signataires appellent le gouvernement tunisien à «assumer ses responsabilités en matière d’emploi, de lutte contre la pauvreté et de sécurité» afin de juguler le nombre grandissant de disparus en Méditerranée depuis le 14 janvier 2011.
Mouhieddine Cherbib, président de la Fondation des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives, un Ong très active sur le front de l’immigration en Europe, insiste, lui aussi, sur la «responsabilité du gouvernement concernant la sécurité de ses ressortissants» et déplore la facilité avec laquelle une embarcation de fortune transportant plus d’une centaine de personnes à son bord puisse quitter les côtes tunisiennes «sans qu’il n’y ait aucun contrôle, sans aucun policier pour l’empêcher de partir, peut-être même avec la complicité de ces forces de sécurité», dit-il.
L’Europe co-responsable des drames de la migration
Selon Hédi Sraieb, l’UE a bâti, avec sa politique d’immigration, un «mur de la honte», en collaboration avec l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures (Frontex) et le règlement Eurosur, accusé par la Ligue européenne des droits de l’homme (Ledh) de mettre sur le même plan la criminalité transfrontalière et l’immigration irrégulière en faisant l’impasse sur la recherche et le sauvetage en mer.
Mouhieddine Cherbib, pointe lui aussi du doigt la responsabilité conjointe des gouvernements occidentaux, en particulier le gouvernement français et sa politique «aberrante» de fermeture et d’externalisation des frontières, ainsi que la question de régularisation des sans-papiers, responsable de l’errance des immigrés ayant réussi à passer entre les mailles du filet.
Les revendications des associations
Le disparus en Méditerranée nécessitent une conjugaison d'efforts et d'initiative .
Lors de ce rassemblement, une délégation a été envoyée auprès de l’ambassade de Tunisie en France, afin de lui faire part de la colère et de l’inquiétude ressenties, et demander à ce que soient renégociés les accords bilatéraux relatifs à l’immigration entre le France et la Tunisie.
L’ambassadeur a déclaré qu’il parlerait de ces problèmes au ministère des Affaires étrangères et proposé de rencontrer les représentants du tissu associatif et les militants.
On attendra la suite… mais sans trop d’illusions!
* Les premières associations signataires de l’Appel sont: Acort, Adtf, Aidda, Amf, Atmf, Asdhom, Attac, Collectif 3C, Corelso, Crldht, Csp 75, Fcma, Fasti, Fsqp, Ftcr, Manifeste pour les libertés, Mctf, Remcc, Unit, Utit, Afapredsa…
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Rassemblement de protestation devant l’Ambassade de Tunisie à Paris