Tout en prônant la légitimité consensuelle après le 23 octobre, date marquant la fin de la légitimité des urnes, la bête noire des islamistes d’Ennahdga écarte, cependant, une éventuelle participation de son parti à un gouvernement élargi.
Par Wahid Chedly
Le sémillant bourguibiste octogénaire et leader du parti Nida Tounes (Appel de la Tunisie), Béji Caïd Essebsi, ne pouvait rêver d’un meilleur timing pour distiller des sarcasmes et autres railleries contre le gouvernement dominé par le mouvement islamiste Ennahdha. Et pour cause. Désarçonné par les retombées difficilement réversibles de l’attaque de groupes salafistes, vendredi, contre l’ambassade américaine à Tunis et voué aux gémonies par une grande partie de la classe politique en raison de son incompétence, l’exécutif issu des premières élections post-Ben Ali est plus que jamais affaibli.
«C’en est fini de la troïka !»
Le vieux routier de scène politique, qui vient d’entamer sa quatrième vie politique (il était ministre sous Bourguiba, président de l’Assemblée nationale sous Ben Ali et Premier ministre provisoire durant la première année post-révolution) a sauté sur l’occasion pour enfoncer le clou. «Ce gouvernement a échoué et n’est plus en mesure de diriger le pays, c’en est fini de la troïka», a martelé cet avocat toujours en exercice, en référence à la coalition formée par Ennahdha et deux partis de centre gauche, Ettakatol du président de l’Assemblée nationale constituante (Anc) et le Congrès pour la république (CpR) du président Moncef Marzouki.
S’exprimant au cours d’une conférence de presse tenue jeudi à Tunis dans un hôtel quadrillé par les agents de sécurité en civil et même des brigades canines, M. Caïd Essebsi a plaidé pour une nouvelle légitimité basée sur un consensus national. «Après le 23 octobre, il n’y aura plus de légitimité électorale. La légitimité sera celle du consensus», a-t-il lancé, rappelant qu’Ennahdha et Ettakatol avaient signé un document limitant le mandat de l’Assemblée constituante à un an. Il a, cependant, fait savoir que son mouvement ne compte pas intégrer un éventuel gouvernement d’union nationale, notant au passage qu’il va soutenir «tout gouvernement au service des intérêts de la Tunisie».
Dérives difficilement réversibles
L’ancien Premier ministre de transition a également proposé la diminution du nombre des membres du gouvernement. «Il faudrait recourir à un exécutif restreint. Les ministères de souveraineté devraient aussi être confiés à des indépendants parmi les compétences nationales», a-t-il déclaré, indiquant que le fait d’inviter d’autres formations politiques à rejoindre le gouvernement est une démarche erronée.
Le fondateur de Nida Tounes a précisé qu’il ne considère pas, pour autant, comme un ennemi d’Ennahdha, appelant au passage tous les acteurs politiques à «placer la patrie avant les partis». Il a aussi accusé le gouvernement dirigé par le parti islamiste Ennahdha de «laxisme» envers des salafistes qui prônent la violence et font courir au pays des dangers et dérives difficilement réversibles. «Les violences anti-américaines que la Tunisie a connues sont le résultat de la politique de tolérance envers des groupes violents. L’attaque de l’ambassade américaine à Tunis a écorné l’image de la Tunisie et aura des conséquences négatives pour le tourisme et l’investissement», a-t-il déploré, indiquant que le pays avait été privé d’un financement de 20 milliards de dollars promis par le G8 à cause de l’insécurité qui y règne encore.
L'Appel de la Tunisie et Caïd Essebsi en embuscade ou en renfort.
M. Caïd Essebsi a affirmé, dans ce même registre, que le parti Ennahdha à l’idéologie parente, selon lui, des salafistes «cherchait à bouleverser le modèle social des Tunisiens qui sont le peuple arabe le plus ouvert sur l’Occident».
Accélérer le jugement des corrompus
M. Caïd Essebsi a estimé, par ailleurs, que le navet islamophobe ‘‘L’innocence des musulmans’’, qui a provoqué des manifestations sanglantes en Tunisie, visait à déstabiliser le président américain. «Barack Obama est proche des musulmans et ce qui est arrivé vise à lui faire perdre les élections comme ce fut le cas de Carter auparavant. Obama était le premier à saluer la révolution tunisienne, provoquant une standing ovation au sein du congrès américain. Il a aussi fait en sorte que son pays accorde une garantie de prêt à la Tunisie. C’était une première historique», a-t-il fait expliquer, comme pour faire comprendre aux extrémistes religieux ayant attaqué l’ambassade des Etats-Unis à Tunis que leur action apporte, paradoxalement, de l’eau au moulin de leurs… ennemis : les chantres de l’extrême-droite islamophobe.
L’ex-chef du gouvernement, qui a dirigé le pays pendant plus de huit mois après le départ de Ben Ali et que les partis membres de la «troïka» au pouvoir accusent de servir de cheval de Troie pour le retour des ex-membres du Rassemblement constitutionnel démocratique (Rcd, le parti de Ben Ali) a, d’autre part, réitéré son refus de l’exclusion d’une partie du peuple tunisien en dehors de la justice.
«Nous appelons le gouvernement à accélérer le jugement des destouriens et des Rcdéistes corrompus. Je ne crois pas en la justice transitionnelle, mais je crois en la justice tout court», a-t-il dit. Et de renchérir: «Les Destouriens (membres du parti nationaliste du Néo-Destour, ancêtre du Rcd, Ndlr) ont mené la lutte de libération nationale, libéré le pays et mis les fondements de l’Etat tunisien moderne».
Refus du financement étranger
M. Caïd Essebsi a, d’autre part, esquivé habilement les questions des journalistes se rapportant à un présumé projet d’assassinat qui viserait sa personne, révélé samedi dernier par l’un de ses lieutenant, usant du sens de l’humour et puisant ses réponses dans un registre purement religieux. «Je suis habitué aux menaces. Je suis un bon musulman. Je mourrai quand mon heure viendra. Je souhaite seulement mourir debout», s’est-il contenté de dire, invitant les journalistes à évoquer cette affaire avec d’autres membres du parti.
Evoquant le retard qu’accuse la mise en place d’une nouvelle commission électorale indépendante, l’homme politique aguerri a rappelé que celle-ci a besoin de huit mois pour préparer les prochaines élections, laissant entendre que ce retard est voulu par le gouvernement et les élus de la «troïka», qui redoutent de revenir aux urnes, sachant la médiocrité de leur bilan dans tous les domaines.
L’ancien membre du Néo-Destour et ministre de Bourguiba a, sur un autre plan, démenti des informations selon lesquelles son parti recevrait un appui de certaines parties françaises. «Nida Tounes n’encaissera jamais un sou de l’étranger. Nous ne ramenons de l’argent ni dans des couffins ni dans des valises», a-t-il souligné, une allusion à peine voilée à une affaire récente, où un membre d’Ennahdha aurait été appréhendé par la police des frontières à l’aéroport de Paris-Orly portant des mallettes contenant de grandes sommes d’argent.