Le président d’Ennahdha est à présent à Ankara où il assiste au congrès du Parti de la justice et du développement, le «célèbre» Akp. Il en profite pour théoriser sur la «puissance» turque.
Par Moncef Dhambri
cheikh Rached Ghannouchi, président d’Ennahdha, est tout le temps par monts et par vaux. D’instinct et par vengeance sur l’Histoire, pourrait-on dire, il souhaiterait rattraper ces nombreuses années d’exil et savourer cette chance inouïe que notre révolution lui a offerte d’être en possession d’un passeport diplomatique, de se déplacer en toute liberté, d’assister à des rencontres internationales, d’être écouté hors des frontières nationales, de parler au nom de la Tunisie et de théoriser…
Ghannouchi pousse la chanson
L’hebdomadaire turc Turkish Weekly, citant l’agence de presse officielle Anadolu, rapporte aujourd’hui sur son site que notre cheikh est à présent à Ankara où il assiste au congrès du Parti de la justice et du développement, le «célèbre» Akp (Adalet ve Kalkınma Partisi) de messieurs Erdogan et Gul.
Prenant la parole, dimanche, devant un parterre de chefs d’Etat et de gouvernement, le magistral Rached Ghannouchi a exprimé à ses hôtes la gratitude d’Ennahdha pour le «soutien total de leur pays aux révolutions du Printemps arabe», ajoutant que l’Akp a également eu le plus grand mérite «de ramener la Turquie au cœur des nations musulmanes après une marginalisation de plus de cent ans».
Aux grandes occasions, les grands formules: le leader nahdhaoui n’a pas hésité de vanter la Turquie comme étant «une douce puissance au cœur même du monde musulman».
Pour plus de précision, M. Ghannouchi a fredonné une fois de plus cette ritournelle selon laquelle le Printemps arabe devrait prendre exemple sur la Turquie pour assurer «un équilibre harmonieux entre modernité et tradition».
Ghannouchi avec Recep Tayyip Erdoğan à Tunis en 2011.
Présents également lors de cette joute oratoire, l’ancien Premier ministre pakistanais Yousuf Raza Gilani a flatté l’importance que l’Akp attache «au pluralisme et à la compréhension» (?); et l’ancien (et très chrétien) président libanais Amine Gemayel a poussé la surenchère encore plus haut en décrivant la Turquie comme «un modèle positif et une délicate harmonie entre les valeurs religieuses et laïques, modernité et tradition, l’Est et l’Ouest».
Toutes ces affirmations et tant d’autres, qui font plaisir aux dirigeants turcs et qui méritent sans aucun doute une étude plus approfondie, n’avancent nullement le débat en Tunisie. Ce que l’on sait pertinemment, pour notre part, c’est que religion et politique, l’islam des Nahdhaouis et la modernité, ne font pas et ne feront jamais, jamais…, bon ménage.
Nous aurons certainement l’occasion, dans les colonnes de Kapitalis, de revenir sur la «réussite» du modèle turc…
Nous Tunisiens, ceux qui avons la tête sur les épaules, nous sommes intimement persuadés que le 23 octobre 2011, le jour où notre révolution a commis la fâcheuse erreur d’offrir le pouvoir à Ennahdha, nous avions des acquis sociaux et des valeurs morales qui pouvaient amplement et sûrement garantir notre traversée de la transition démocratique. Nous avions les capacités, les intelligences et compétences – sans avoir à chercher ailleurs! – qui devaient nous permettre d’opérer toutes les mutations nécessaires à la réussite à notre révolution…
La révolution n’a pas été faite pour sauver l’islam
Qu’est-il arrivé à ce bel héritage, en neuf ou dix mois? Ennahdha, ses cheikhs et leurs «enfants» salafistes ont tout bouleversé, tout «bazardé»…
Alors que notre jeunesse, le 14 janvier 2011, a revendiqué haut et fort «liberté, démocratie et dignité», les Nahdhaouis lui ont offert en retour régimentation de la vie, rectitude quotidienne et rigueur puritaine.
Avec Ennahdha, nous l’avons compris, l’essentiel est omis et il n’y a que le culte qui compte.
Le discours d'Erdogan au congrès de son parti, le 30 octobre 2012.
Rappelons, une fois encore, aux Nahdhouis (dirigeants de parti, membres du gouvernement Jebali, constituants et électeurs) que la révolution n’a pas été faite pour sauver l’islam (notre religion à tous se portait très bien en Tunisie !), ni pour incorporer la chariâ dans notre nouvelle constitution, ni pour revoir à la baisse l’idée d’égalité femme-homme…
Nous leur rappellerons ces «petites vérités» tant que cela sera nécessaire. Nous les leur rappellerons lors des prochaines élections!