Tunisie. «L’incompétence d’Ennahdha dépasse l’entendement» (Yadh Be Achour)C’est le titre de l’entretien accordé par le Yadh Ben Achour et ancien président de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution (Hiror), au journal français La Croix (3 octobre.)

L’Assemblée nationale constituante (Anc), élue le 23 octobre 2011, avait un an pour rédiger la nouvelle Constitution tunisienne. Cette échéance ne sera pas tenue, déplore le juriste, estimant que «le parti Ennahdha, qui dirige la coalition au pouvoir, est incompétent et entretient des relations dangereuses avec les salafistes.» Extrait…

Pour un gouvernement d’union nationale

«À l’exception du Congrès pour la République du président Moncef Marzouki, les partis se sont engagés moralement et politiquement à limiter le mandat de l’Assemblée nationale constituante (Anc) à un an. Au-delà du 23 octobre, l’Anc et les autorités qui en découlent auront perdu toute crédibilité politique. Il sera alors nécessaire de recomposer le paysage politique en créant un gouvernement d’union nationale basé sur le consensus. Mais Ennahdha, le parti islamiste qui a remporté 41% des voix, est-il seulement capable de suivre cette voie de la raison? (…)

«Le gouvernement tunisien mérite un zéro de conduite»

«En 2005, Ennahdha s’était engagé sur la voie de l’islamisme démocratique dont nous rêvons tous, en formant une plate-forme commune avec les partis modernistes sur l’Etat de droit, l’égalité hommes-femmes, les libertés publiques, etc. Il y avait alors eu un mouvement de convergence entre l’islamisation de la gauche d’un côté et la démocratisation des partis islamistes de l’autre. Cela autorisait à croire en la capacité d’Ennahda de promouvoir un islamisme moderne. J’ai ardemment défendu cette position. Malheureusement l’incompétence du premier parti au pouvoir dépasse l’entendement. Pas un seul des quinze grands dossiers prioritaires pour le pays depuis la révolution n’a bougé d’un iota. Qu’il s’agisse d’économie, d’équilibre régional, de justice transitionnelle, etc. Le gouvernement mérite un zéro de conduite. La situation sociale est tendue. L’administration est déstabilisée. De nombreuses coupures d’eau et d’électricité ont affecté les régions du Sud alors que cela ne s’était pas produit pendant tout le temps de la révolution! Des personnes sont emprisonnées sans jugement depuis dix-huit mois. Des tortionnaires courent toujours.

Pendant ce temps, Ennahdha agite inutilement la société avec des thèmes archaïques. Avec les extrémistes salafistes, il joue avec le feu. Il ne se passe pas de semaine sans événement qui secoue la société. La manifestation devant l’ambassade américaine le 14 septembre s’est déroulée avec la complicité des forces de police. Le risque de débordement n’avait pas été calculé. Cette attaque a été condamnée le jour même par le président de la République mais le premier ministre Hamadi Jebali (Ennahdha) qui dirige le pays n’a pas dit un mot sur le sujet...

Les germes d’un État théocratique

«Le parti est tiraillé entre ses différents courants réformistes, salafistes et centristes représentés au sein du gouvernement et de l’Anc. Rached Ghannouchi, le chef historique, fait la «synthèse» en chantre du double discours. Devant un interlocuteur occidental, Ennahdha met en avant les valeurs de «démocratie » et d’«égalité». Mais à usage interne, il ne parle que de religion et de «respect du sacré» à inscrire dans la Constitution. Un projet de loi qui vise à modifier le code pénal pour criminaliser les atteintes au sacré porte les germes d’un État théocratique.»